Agenda 2018

 18 novembre Salon du livre de Sainte-Foy

17 novembre,  Rencontre à la médiathèque de Fleury autour de Pendulaires frontaliers, les ouvriers du temps, La Rumeur libre 2016

5 juillet Nuit de la poésie,  Atelier d’écriture Plaisirs pauvres avec Katheline Goodens, puis lectures à la Maison de la poésie Rhône -Alpes

27 juin, 18h à la MJC, Restitution des ateliers d’écritures de Chaponost

23 juin Colloque Voyage en Italie organisé par Lyon2, communication Le voyage de retour des enfants d’immigrés chez  Robert Piccamiglio, Maryline Desbiolles, et Philippe Fusaro

26, 27/4 Salon du livre Genève

17/3  Participation Salon Livre Paris, stand La Rumeur Libre

Atelier d’écriture maison de la poésie Rhône-Alpes  Notre vie est un roman https://www.facebook.com/206047216151990/photos/a.480015078755201.1073741828.206047216151990/1610815909008440/?type=3&theater

Atelier d’écriture, association Utopia Dire la maladie  1/2, 1/3, 5/4, 3/5, 7/6

Frontaliers Pendulaires Un bien bel article de Christian Chavassieux

Le troisième livre, (paru en avril dernier, j’ai du retard) est le premier roman de Maryse Vuillermet : Frontaliers pendulaires, les ouvriers du temps. Cette chercheuse à  l’université Lumière Lyon 2, spécialiste de la représentation du travail, notamment ouvrier, dans la littérature romanesque, avait nourri notre imaginaire avec un récit qu’elle range elle-même dans la catégorie de l’autofiction : Naven, en 2010, et avec l’essai suivant, développement de Naven en quelque sorte, mêlant l’autobiographie à  la reconstitution du destin des émigrés, immigrés, migrants, qui ont fait sa genèse : Pars ! Travaille !, en 2014. Ici, Maryse Vuillermet n’a pas tenté de s’approprier les arcanes et principes romanesques, et rejoindre ainsi la cohue des romanciers du réel. Elle a inventé ses propres solutions, frisant le documentaire, mêlant dialogues plaisants ou dérangeants et scènes vivement brossées, donnant généreusement à  voir, à  entendre, à  s’inquiéter ou se réjouir. Maryse Vuillermet nous fait vivre chaque enjeu de vie de ses « ouvriers du temps « . Le livre suit plusieurs travailleurs frontaliers de la France vers la Suisse et retour, au cours d’une sorte de synthèse de toutes les journées, de tous les destins sur plusieurs saisons, à la manière dont une Julie Otsuka a pu raconter les trajectoires de ses japonaises dans Certaines n’avaient jamais vu la mer, mais sans le précieux artifice de l’accumulation des anonymats. Ici, chaque personne est nommée, approchée, comprise, chaque destin est inscrit dans son environnement économique, familial, social. Un horloger, un conducteur d’engin, une fille d’immigrés marocains, une épouse et mère de famille, etc. Bien sûr, l’universitaire est là , ses techniques d’investigations apportent tous le éléments qui feraient déjà  un essai passionnant, mais ses héros et héroïnes sont vrais, proches, on les aime et les comprend. Les « pendulaires » sont lancés quotidiennement dans une marche quasi hypnotique vers le travail de l’autre côté  du pays. Au delà  d’une frontière impalpable. Même langue, mêmes paysages, le décalage est léger et pourtant, responsabilité identique, compétence égale, horaires similaires. Les salaires sont multipliés par deux, au bas mot. Qui résisterait ? La puissance d’attraction d’une telle offre commence à  produire des effets au-delà  des trente kilomètres qui furent la règle, avant Shengen. Certains commencent à  se convaincre que, de Nantes ou de Bordeaux, venir chaque jour à  Genève, et bien,  Pourquoi pas ? L’auteure nous décrit, avec une précision de monteur de haute horlogerie, les attentes, les aspirations, les angoisses, liées à  la condition des travailleurs « pendulaires ». On apprend des milliers de choses, c’est passionnant. Les descriptions du travail vertigineux des horlogers de luxe, la façon dont l’auteur détaille leur  recherche inconcevable de la perfection,  parviennent à  nous faire toucher du doigt l’amour fétichiste que de tels objets peuvent inspirer. Je dois avouer que je comprends à présent qu’on puisse mettre 300 000 euros dans une montre. C’est un des effets imprévus de la lecture du livre de Maryse Vuillermet. Chaque métier est traité avec la même attention scientifique, combinée à  une égale affection humaine pour les êtres. Cet équilibre maitrisé fait de ce texte un récit passionnant, humain et pédagogique à  la fois. Bouleversant et riche d’enseignements. Dans les derniers chapitres, le rêve éveillé d’un des protagonistes donne à  voir la fin apocalyptique du système. Un avertissement car, nous dit Maryse Vuillermet en épilogue, « l’histoire ne s’arrête jamais ». Au fil des parcours et des portraits, une certaine Suisse est dessinée, peu aimable avec ses immigrés, menaçante même, et c’est peut-être cela qui a compromis l’accès de Frontaliers pendulaires au prix Lettre-Frontières (attribué par des jurés suisses et français). A la lecture d’un livre aussi puissant et nécessaire, on ne peut qu’enrager d’une telle absence. Si c’est le cas, le Prix Lettre-Frontières, pour lequel j’ai une tendresse toute particulière, ne s’est pas grandi à  cette occasion.

 

Christian Chavassieux dans Kronix

 

Les huit montagnes, Paolo Cognetti

Les huit montagnes, Paolo Cognetti, Stock , 2017

 

Pietro vit à  Milan, avec ses parents et, chaque été, part avec eux en vacances à  la montagne. Son père arpente les sommets, sa mère et lui restent au village de Grana, au pied du Mont Rose.

Il y fait la connaissance de Bruno, un garçon de son âge, berger.  Ensemble, ils arpentent la forêt, le torrent, et surtout les ruines de tous ces hameaux d’alpage qui se vident peu à  peu. Bruno le surnomme Bério, qui signifie Pierre et l’attend chaque année.

Devenu plus grand, Pietro suit son père en randonnée et découvre l’ivresse de la marche,  de l’effort et de la solitude. Bruno les accompagne quand il peut.

Un jour, Pietro devenu adolescent refuse d’accompagner son père, se lassant de ses silences et de son caractère difficile et intransigeant.

Pietro devenu adulte vit sa vie et ne vient plus à  Grana, jusqu’au jour où son père décède et lui lègue une ruine au sommet des alpages. Il y revient donc retrouve Bruno et ensemble, tout un été, ils restaurent la baïte, la cabane d’alpage.

Le roman change alors d’allure, Bruno resté dans ce village tente de faire revivre l’élevage traditionnel. Pietro, entre deux voyages en Himalaya,  retrouve Bruno, le souvenir de son père en refaisant les mêmes sommets, et la solitude qu’il apprivoise.

C’est un récit d’amitié pudique et violent, c’est aussi le récit de deuils enfouis, et de l’incompréhension entre les générations. C’est encore la description  acérée  et poignante de la fin d’un mode de vie dans la montagne, de la transformation des montagnards en agents de tourisme ou en alpinistes professionnels.

Mais c’est surtout un hymne à  la beauté sauvage et cruelle de cette montagne très vieille, de ses glaciers,  de ses torrents, de ses sommets et de ses envoûtements, car certains ne pourront jamais plus en partir.

Pour moi, c’est encore le souvenir intact des récits de ma tante Santine, de mon oncle Michel nés en Val d’Ayas, dans un village d’alpage appelé Mascogne, en tous points semblable à Grana. 

 

 

Récits et romans

Mémoires d’immigrés valdotains

L’harmatan, 2002

Mars 1933, Louis Vuillermet part à pied de son village valdotain, traverse les Alpes et tente de reconstruire sa vie dans un petit village jurassien. Ce récit retrace la sortie de la misère d’une famille dont les enfants sont tour à tour bergers, bonnes à tout faire à la campagne puis en ville, bûcherons, débardeurs, ouvriers et ouvrières, boxeurs, champions de vélo. Pour eux, le travail à l’usine, c’est d’abord la liberté. C’est une saga familiale, transmise par les femmes, entre révolte et courage, rage de vivre et fidélité, drames et fiertés.

 

 

 

Et toi, ton pays, il est où?

L’Harmattan, 2006

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Retour  vers les hautes Combes,

L’Harmattan, 2010.

Une journaliste revient dans ses montagnes pour y écrire un reportage. Mais quelque chose la hante. Peu à peu, lui reviennent à l’esprit les événements de l’été soixante-seize. Des jeunes fous de liberté habitaient les fermes abandonnées, vivaient intensément, s’aimaient, se quittaient. Deux récits s’enchevêtrent, celui d’aujourd’hui, celui d’une réconciliation avec son territoire et son passé et celui d’hier,  avec ses bonheurs et ses drames.
Un hymne à ce pays, les Hautes Combes, et à ses habitants

 

 

 

 

 

 

 

Naven,  L’Harmattan, 2010

 

Le naven est, dans certaines contrées et en particulier en Nouvelle Guinée, un très long récit d’initiation ; les femmes âgées initient les jeunes filles   grâce à des récits mythiques, récits de familles, récits des origines. Parfois, ces récits s’accompagnent de spectacles et de déguisements. Le naven porte également le nom  de donner à voir. Dans ce roman, la narratrice   retrace le parcours incroyablement audacieux des jeunes filles de sa famille venues d’Ardèche ou d’Italie pour travailler comme bonnes   à Lyon.  Placées en maison, ces femmes ont tout appris, la ville, les us et coutumes des citadins, la liberté, le déracinement. Mais le prix à payer était  parfois élevé. La narratrice de ce roman, en refaisant leur chemin,  comprend à son tour  que ce qu’elle a refusé de ces  femmes,  ignoré ou méprisé était peut-être son salut.

 

 

 

 

 

 

 

George Besson, vendeur de pipes, ami des grands peintres, Cabedita, 2010.

Cet ouvrage nous livre la biographie romancée de George Besson, autodidacte passionné, parti de rien et devenant, au fil des ans, un collectionneur de toiles sans prix.

En effet, ce Sanclaudien débuta en vendant des pipes dans toute l’Europe. Puis il devint éditeur de livres d’art, vulgarisateur fervent, critique d’art et découvreur de grands talents.

Ce récit nous plonge dans l’effervescence du mouvement des coopératives de Saint-Claude puis dans le Paris des Années folles avec ses impressionnistes, ses photographes et ses écrivains.

George Besson sut devenir l’ami de Renoir, Bonnard, Marquet, Matisse et Dufy, dont il savait apprécier le talent.

Partageant sa passion avec sa femme Adèle, ils devinrent propriétaires d’une collection prestigieuse que les musées de Besançon, de Bagnols-sur-Cèze et le Centre Pompidou abritent aujourd’hui.

L’auteure a voulu faire redécouvrir par cet ouvrage un homme quelque peu oublié. Il s’adresse dans un premier temps au lectorat jurassien parce qu’il est ancré dans la ville de Saint-Claude, dans son histoire et ses mouvements sociaux et, dans un deuxième temps, aux amoureux de l’histoire, de la peinture, de la photographie, du mélange des arts et aux fervents des utopies sociales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       Pars! Travaille!

La Rumeur Libre,  2014

Partir, c’est s’arracher aux siens, se couper d’eux, les trahir.

Revenir, c’est être déçu, ne pas retrouver, ne pas les reconnaître. Ce qu’on  avait tant  rêvé n’existe plus.

Tout ce livre se situe dans cette tension, cet impossible équation.

S’y ajoute l’obligation de travailler.  Comme  les ancêtres italiens, partis en Australie à la conquête d’un continent  ou venus en France chassés par le fascisme et la misère, la narratrice part, en Europe, en Algérie.

Tous ses départs sont nécessaires, sont pleins de l’énergie de l’inconnu, mais ils portent en eux aussi le retour la nostalgie et l’horreur du retour. Et on emmène toujours les siens sur son dos, tel  Enée  fuyant Troie en flammes en portant Anchise, son père sur son dos.

Une écriture poétique et réflexive, la terrible beauté du voyage toujours teintée de la nostalgie et de la culpabilité de la trahison.

 

 

 

 

 

 

 

Pendulaires frontaliers, les ouvriers du temps,

La Rumeur libre 2016

Ils habitent une montagne frontière, Jura, Alpes, une montagne aujourd’hui sinistrée, les usines ont fermé une à une, une montagne réservoir de main-d’œuvre pour le riche pays voisin, un eldorado : la Suisse. Ils sont des milliers, toujours plus nombreux, qui chaque matin à l’aube, dans leur voiture toujours plus puissante, prennent la route, affrontent la neige, le verglas, les lacets, le danger, la peur de l’accident, des milliers, qui traversent des villages mourants, des zones commerciales, des zones pavillonnaires, des zones désespérées mais aussi des paysages d’une beauté à couper le souffle qu’ils ne voient pas, ils roulent si vite, il faut arriver à l’heure, la frontière, basculer de l’autre côté, en Suisse, pour travailler, gagner l’argent nécessaire aux belles maisons, aux grosses voitures, aux crédits, au train de vie. Une journée de travail, dans l’autre pays apparemment si proche mais oh combien différent, ouvriers, enseignantes, horlogers, infirmières ou secrétaires, malmenés de n’avoir pu trouver du travail chez eux et parfois en proie de l’autre côté au racisme anti-frontalier. Et le soir après le travail là-bas, revenir en France, basculer à nouveau, ouvriers pendulaires oui, la route, la voiture encore, un entre-deux, un sas entre les deux mondes et comme une déchirure au cœur, n’être de nulle part.
Mais qui sont ces hommes, ces femmes, aux visages endormis du matin et fatigués du soir, ces êtres d’un perpétuel entre-deux dont la vie bascule deux fois par jour, ici, la route, la montagne, la frontière, là-bas, et le soir en sens inverse et le lendemain encore et les autres jours, la vie entière ?
L’auteure, à partir de dizaines d’entretiens a percé le mystère de ces vies minutées, chronométrées, morcelées, elle ausculte les espoirs et touche les rêves enfouis et nous livre un texte ciselé, d’une rare précision, véritable mécanique horlogère, un livre haletant, une ode à ces figures d’humains qui perdent leur vie à la gagner.
Aux confins de plusieurs genres, roman, document, récit, surgit ici un genre nouveau, riche de tous les autres. Il faudrait pouvoir le nommer.

Elmone Treppoz

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parti voir les bêtes, Anne-Sophie Subilia, Zoe.

 

Parti voir les bêtes, Anne-Sophie Subilia,  Zoe,  2017.


C’est le deuxième roman d’une jeune romancière suisse que je découvre grâce aux amies libraires de chez Zadig  à Saint-Claude.

Le titre sonne comme un mot laissé sur la table, mais c’est aussi l’activité principale du personnage qui passe son temps à aller marcher dans les pâturages et à écouter les oiseaux.

Le texte s’adresse à lui dans un « tu » à la fois familier et étonné, parfois agacé. En effet, ce quadragénaire est revenu vivre dans le village de son enfance dans le pays roman au pied du Jura, là où son grand-père avait une ferme et un atelier de menuiserie qu’il a dû vendre parce qu’aucun de ses enfants n’était intéressé. Mais il ne s’agit pas d’un retour à la terre car « la terre » n’existe plus mitée par les lotissements, les autoroutes, les ronds-points et l’immense chantier prévu.

Pourtant, il est là, au bistrot, chez la coiffeuse solaire et attirante, avec son neveu à qui il transmet les gestes du grand-père ; il est là, il flâne, se couche dans l’herbe, créé des objets en bois dans l’atelier prêté par le voisin . Il est là,  avec ses colères, contre son père qui a laissé partir la ferme du grand-père, contre le temps qui tue l’enfance et la forêt, contre lui-même qui ne trouve pas sa place et qui ne peut pas avoir d’enfant car il est stérile.

Mais le village et ses habitants sont plus forts que la colère et que tous leurs ennemis, il se transforme certes, on entend parler anglais à l’épicerie, et les touristes arrivent mais la rivière, les lumières, les chants d’oiseaux et l’atelier restent.

C’est un roman sur la mutation du monde rural et de ses habitants qui aurait eu la tentation de la nostalgie mais qui a su la transformer en un hymne à la singularité des paysages.

« Tu dis que c’est une contrée à deux vitesses, faite pour des cœurs différents. […] D’un côté, il y a ce que tu refuses de comprendre: pourquoi les gens ne se promènent plus à pied, pourquoi ils veulent tous une maison, pourquoi ensuite on les voit plus de la journée et que la maison reste close jusqu’à ce qu’ils rentrent à tout allure y dormir[…]. Et d’un autre, il y a ce que tu aimes. Ta contrée sent fort. La bête, la paille, la châtaigne. Ça sent la transhumance, le foin qui roule dans l’écurie. Ça travaille avec les saisons. Sur l’heure du midi, la fourche reste piquée dedans longtemps. Ça t’embrume comme un trésor »

De l’aube au soir

Non, pas encore, pas encore, la panique quotidienne devant la fin du jour, que celui-là, celui-là ne se transforme pas en nuit, que cette soirée simple reste soirée. Assise dans le jardin, je retiens ce jour qui déjà grise le haut du cèdre et brouille la ligne fine de ses branches, le merle est encore tout fou mais le chat passe le mur et traverse, de très loin, il revient chez lui, il a senti lui aussi l’angoisse du soir, les voitures se précipitent sur les ralentisseurs,  les travailleurs rentrent chez eux, en écoutant les radios. Je ne bouge pas. Je guette et je me demande ce que j’ai fait de ce jour-là,  que tout cela ne coule pas entre mes doigts serrés. Je me suis levée tôt, j’ai bu un demi-litre de café, j’ai parlé à Alain, j’ai écrit un tout petit peu, préparé deux repas en un, mangé devant la télé, téléphoné à ma mère, mes filles, des amis m’ont appelée, j’ai organisé des petites sorties, enlevé des herbes au jardin, parlé à Alain, et le jour est fini, le cèdre est encore plus sombre, et le bas du mur noir, le flot des voitures ralentit, les chiens du fond de l’impasse ont aboyé, j’ai un peu froid, je reste immobile, je voudrais être si observatrice que je verrais passer les secondes, en « robes surannées comme les  défuntes années ».

Je voudrais les supplier de m’accorder un peu de répit, je vois le temps qui passe comme une étoile file, déjà dans l‘école,  de l’autre côté du jardin, les femmes de ménage ont terminé et vont actionner les volets roulants, le voisin va venir fermer son portail, il ferme de plus en plus tôt, il fatigue Dino, il fatigue, il me l’a dit.

Moi, je refuse de fermer les volets, parce que de mon lit, je profite du jour jusqu’à son dernier souffle et le matin, les mésanges me réveillent quand il fait encore nuit.

Je sais qu’il faut lâcher prise,  accepter la marche du temps,  le passage des jours mais je m’arcboute, me révolte,  je lutte, je ne me résigne pas.

J’ai froid, rentrer dans la maison, allumer les lampes et penser au repas du soir m’est une défaite insupportable.

Alors vite,  réfléchis, où est la poésie de ta journée ? Le mot, le geste, la rencontre qui feront trace et dépôt dans ta mémoire. Tu n’as presque pas bougé de ton village mais de l’aube à ce soir frais, refais le tour en pensée, et égrène, trie, enrobe, tu prends le coup de fil à ta mère et tu gardes son rire,  elle qui n’a presque jamais ri,  dans sa grande vieillesse,  rit souvent et pour un rien, c’est cadeau, puissant talisman.

Prends la conversation avec ton voisin, il a travaillé toute sa vie en haut d’une  grue, il a 80 ans, vous ne parlez que du temps et du gel, mais chaque jour, il fait un effort,  sort son sourire de petit garçon, son haussement d’épaule un peu adolescent,  une expression, chaque jour, il cherche. Aujourd’hui j’ai dit je suis allée chez le dentiste ; il répond  oh moi, je n’y vais pas, si j’y allais,  il se sauverait en courant, il prendrait peur. Il a toujours quelque chose d’insolite à dire. Parfois,  il marche jusqu’au bar au bout de la rue et s’assoit un moment tranquillement, parfois, il prend sa voiture et va voir ses copains gardiens de la déchetterie, et il revient avec une nième   vieillerie, un aspirateur, une cafetière électrique, une petite télévision, un ventilateur, et il va la réparer dehors,  debout, pour mieux guetter les passants et leur dire à chacun quelque chose  de spécial auquel il  réfléchit.

Et sa femme va hurler parce que,  dans sa cour, il y a déjà trois,  quatre tas,  montagnes, piles recouverts de bâche en plastique,  des planches, tôles, plaques de ferraille,  pièces de toutes dimensions et formes, parce qu’il pourrait en avoir besoin. Donc retenir la bouche de Cha

Non, pas encore, pas encore, la panique quotidienne devant la fin, du jour, que celui-là, celui-là ne se transforme pas en nuit, que cette soirée simple reste soirée. Assise dans le jardin, je retiens ce jour qui déjà grise le haut du cèdre et brouille la ligne fine de ses branches, le merle est encore tout fou mais le chat passe le mur et traverse, de très loin, il revient chez lui, il a senti lui aussi l’angoisse du soir, les voitures se précipitent sur les ralentisseurs,  les travailleurs rentrent chez eux, en écoutant les radios. Je ne bouge pas. Je guette et je me demande ce que j’ai fait de ce jour-là,  que tout cela ne coule pas entre mes doigts serrés. Je me suis levée tôt, j’ai bu un demi-litre de café, j’ai parlé à Alain, j’ai écrit un tout petit peu, préparé deux repas en un, mangé devant la télé, téléphoné à ma mère, mes filles, des amis m’ont appelée, j’ai organisé des petites sorties, enlevé des herbes au jardin, parlé à Alain, et le jour est fini, le cèdre est encore plus sombre, et le bas du mur noir, le flot des voitures ralentit, les chiens du fond de l’impasse ont aboyé, j’ai un peu froid, je reste immobile, je voudrais être si observatrice que je verrais passer les secondes, en « robes surannées comme les  défuntes années ».

Je voudrais les supplier de m’accorder un peu de répit, je vois le temps qui passe comme une étoile file, déjà dans l‘école,  de l’autre côté du jardin, les femmes de ménage ont terminé et vont actionner les volets roulants, le voisin va venir fermer son portail, il ferme de plus en plus tôt, il fatigue Dino, il fatigue, il me l’a dit.

Moi, je refuse de fermer les volets, parce que de mon lit, je profite du jour jusqu’à son dernier souffle et le matin, les mésanges me réveillent quand il fait encore nuit.

Je sais qu’il faut lâcher prise,  accepter la marche du temps,  le passage des jours mais je m’arcboute, me révolte,  je lutte, je ne me résigne pas.

J’ai froid, rentrer dans la maison, allumer les lampes et penser au repas du soir m’est une défaite insupportable.

Alors vite,  réfléchis, où est la poésie de ta journée ? Le mot, le geste, la rencontre qui feront trace et dépôt dans ta mémoire. Tu n’as presque pas bougé de ton village mais de l’aube à ce soir frais, refais le tour en pensée, et égrène, trie, enrobe, tu prends le coup de fil à ta mère et tu gardes son rire,  elle qui n’a presque jamais ri,  dans sa grande vieillesse,  rit souvent et pour un rien, c’est cadeau, puissant talisman.

Prends la conversation avec ton voisin, il a travaillé toute sa vie en haut d’une  grue, il a 80 ans, vous ne parlez que du temps et du gel, mais chaque jour, il fait un effort,  sort son sourire de petit garçon, son haussement d’épaule un peu adolescent,  une expression, chaque jour, il cherche. Aujourd’hui j’ai dit je suis allée chez le dentiste ; il répond  oh moi, je n’y vais pas, si j’y allais,  il se sauverait en courant, il prendrait peur. Il a toujours quelque chose d’insolite à dire. Parfois,  il marche jusqu’au bar au bout de la rue et s’assoit un moment tranquillement, parfois, il prend sa voiture et va voir ses copains gardiens de la déchetterie, et il revient avec une nième   vieillerie, un aspirateur, une cafetière électrique, une petite télévision, un ventilateur, et il va la réparer dehors,  debout, pour mieux guetter les passants et leur dire à chacun quelque chose  de spécial auquel il  réfléchit.

Et sa femme va hurler parce que,  dans sa cour, il y a déjà trois,  quatre tas,  montagnes, piles recouverts de bâche en plastique,  des planches, tôles, plaques de ferraille,  pièces de toutes dimensions et formes, parce qu’il pourrait en avoir besoin. Donc retenir la bouche de Charles qui ferait s’enfuir un dentiste.

Et puis j’ai eu l’AMAP, l’association pour le maintien d’une agriculture paysanne où je vais chaque semaine chercher mon panier. Le gars des fruits explique que ses pommiers ont gelé, et qu’il construit un  nouvel hengar avec des murs en paille,  il a besoin de volontaires pour le samedi,  en paille ?  je pense à la maison des petits cochons.

Et puis il y a Mitzou Pouget et Annie Fornelli, des camarades d’associations. Elles me racontent comment est morte la fille d’une autre amie. Elle était allée à une fête sur le campus de la Doye, et elle a voulu monter sur le toit d’une usine désaffectée, pour voir le soleil se lever. Quelque chose qui se fait à la fin des fêtes. Ses amis étaient fatigués, ils voulaient rentrer,  ils n’ont pas voulu monter,  son petit ami leur disait au revoir avant de grimper l’échelle, elle,  elle s’est élancée la première et,  en arrivant sur le toit, elle a dû trébucher. Parce que son petit ami a entendu son corps s’écraser juste à côte de lui. Non, ce n’est pas un suicide, elle a trébuché, ce n’était pas du tout son genre,  elle était aventureuse et amoureuse de la vie, elle était partie un mois seule faire de la marche, elle faisait des tas de choses très audacieuses, elle n’avait peur de rien. Elles ont parlé des funérailles où le prêtre a réussi à déculpabiliser les parents.

Et voilà que ces deux événements suffisent, la nuit peut tomber désormais, le jour est plein, j’ai ce que j’appelle la poésie de ma journée, des faits uniques, la bouche de Charles et la chute de la petite qui voulait vivre si fort qu’elle avait, à vingt ans,  déjà plus vécu que beaucoup mais elle a trébuché au moment où le soleil se levait.

Rentre,  va faire chauffer la soupe,  comme disait ta mère et réjouis-toi d’être là.

rles qui ferait s’enfuir un dentiste.

Et puis j’ai eu l’AMAP, l’association pour le maintien d’une agriculture paysanne où je vais chaque semaine chercher mon panier. Le gars des fruits explique que ses pommiers ont gelé, et qu’il construit un  nouvel hengar avec des murs en paille,  il a besoin de volontaires pour le samedi,  en paille ?  je pense à la maison des petits cochons.

Et puis il y a Mitzou Pouget et Annie Fornelli, des camarades d’associations. Elles me racontent comment est morte la fille d’une autre amie. Elle était allée à une fête sur le campus de la Doye, et elle a voulu monter sur le toit d’une usine désaffectée, pour voir le soleil se lever. Quelque chose qui se fait à la fin des fêtes. Ses amis étaient fatigués, ils voulaient rentrer,  ils n’ont pas voulu monter,  son petit ami leur disait au revoir avant de grimper l’échelle, elle,  elle s’est élancée la première et,  en arrivant sur le toit, elle a dû trébucher. Parce que son petit ami a entendu son corps s’écraser juste à côte de lui. Non, ce n’est pas un suicide, elle a trébuché, ce n’était pas du tout son genre,  elle était aventureuse et amoureuse de la vie, elle était partie un mois seule faire de la marche, elle faisait des tas de choses très audacieuses, elle n’avait peur de rien. Elles ont parlé des funérailles où le prêtre a réussi à déculpabiliser les parents.

Et voilà que ces deux événements suffisent, la nuit peut tomber désormais, le jour est plein, j’ai ce que j’appelle la poésie de ma journée, des faits uniques, la bouche de Charles et la chute de la petite qui voulait vivre si fort qu’elle avait, à vingt ans,  déjà plus vécu que beaucoup mais elle a trébuché au moment où le soleil se levait.

Rentre,  va faire chauffer la soupe,  comme disait ta mère et réjouis-toi d’être là.

Agenda 2017


  30 novembre  Rencontre et lecture d’extraits à  18h 30 à la Librairie Le Parnasse à Genève

19 novembre, Parlons livres, maison de pays de Mornant, rencontre-signature  de 14h 30 à 19h.Lecture Tous ont droit à mon récit à 15H

23 24 Septembre, Festival Poésie en Matheysine,  lectures croisées, ateliers d’écriture, programme complet     http://avaulxprojets.fr/poesie2017.php

4 juillet restitution de l’atelier de la MJC de Chaponost dans le cadre du caveau des lettres à 20h au restaurant Un air de campagne

17  juin Atelier d’écriture et balade poétique en compagnie d’Emmanuel Merle et de Florentine Rey à la maison Messiaen, sur invitation de l’association Avaux Projets

4 juin, invitée au  Festival   Montagn’Arts 2017en Valbonnais , http://www.lesmontagnarts.org/tout-sur-l-edition-2017/programme2017.html lecture rencontre sur le thème de la mine et du travail, lecture d’extraits de Pars! Travaille!  édité à  la Rumeur Libre en 2014.

31 mai , Rencontre organisée par  l’association l’Improbable  autour de mon récit Pendulaires frontaliers les ouvriers du temps,  18H 30, MJC Saint-Jean Lyon

avril  Présélection pour le prix Lettres frontières

Janvier sortie de la revue Rumeurs n° 2,  j’y ai publié Ecrire avec Patrick Laupin , collectant les textes écrits en une année dans son atelier.

Article 353 du code pénal, Tanguy Viel, Editions de minuit, 2017

Article 353 du code pénal,  Tanguy Viel,  Editions de minuit 2017

Martial Kermeur vient d’être arrêté par la police et s’explique à son juge d’instruction. Il retrace tous les événements qui l’ont amené à jeter à la mer Laznec, un promoteur escroc. Il raconte son licenciement de l’arsenal de Brest, son divorce, la garde de son fils lui-même en prison pour « une très grosse bêtise ». Il raconte comment il a investi la totalité de sa prime de licenciement dans le projet immobilier de Laznec, et comment,  peu à peu,  il s’est rendu compte que beaucoup dans le village,  dont le maire,  avaient fait la même chose et comment Laznec dépensait leur argent mais ne construisait jamais le complexe immobilier qui devait tous les rendre riches.

 L’auteur réussit à nous faire entendre la voix de cette  double victime,  victime d’un licenciement et victime d’un escroc plus malin, plus riche et plus culotté que lui, comment devant lui,  justement il n’avait pas les mots. Le monologue est hypnotisant,  jamais ennuyeux, car on est constamment aux cotés de Martial,  on a cru avec lui qu’il s’achèterait un beau bateau de pêche, et que son fils serait fier de lui, mais non,  il s’est fait mener en bateau.

Et ce que l’auteur montre sans insister mais avec une grande finesse,  c’est la désespérance de ces petites villes que le travail a déserté alors que tous, y compris le maire,  votent à gauche, leur impuissance,  leur  honte qui les amènent  à croire n’importe quel bateleur qui,  au nom du progrès,  du tourisme,  du développement,   les fait rêver à un autre avenir. Il montre aussi le délitement de la famille quand le père perd travail et honneur.

Martial à son juge et pour une fois parle,  dans une logorrhée irrépressible,  et parce que le juge (c’est-à-dire nous, lecteur)  écoute et comprend et prendrait presque son parti.

C’est un roman dont la construction est subtile et dont le propos est sensible et intelligent.

Marlène, Philippe Djian, Gallimard, 2017

Marlène Philippe Djian, Gallimard 2017

 

Dan et Richard, les héros,   sont deux vétérans d’Afghanistan. Amis de toujours, ils se sont protégés pendant toute la  guerre, mais de retour chez eux, ils tentent de se reconstruire de façon très différente. Dan tâche d’oublier en travaillant,  en étant sérieux et méticuleux dans ses exercices  de sport, Richard   au contraire est flambeur, tricheur et délinquant. Autour d’eux,  gravitent la femme et la fille de Richard, une adolescente en révolte et surtout , la belle-sœur, femme libre, enceinte, et dont on ne sait jamais si elle dit la vérité sur son passé et son présent.

L’imminence d’une catastrophe est palpable, poisseuse, le style est minimaliste et c’est le secret de Djian, de créer, à chaque nouveau roman et  à chaque phrase,  une surprise, une image, un renversement de perspectives qui nous tient en haleine dans cette fuite en avant dont on sait  que de toute façon la fin sera tragique.

Pas déçue, beau travail  !