Parti voir les bêtes, Anne-Sophie Subilia, Zoe.

 

Parti voir les bêtes, Anne-Sophie Subilia,  Zoe,  2017.


C’est le deuxième roman d’une jeune romancière suisse que je découvre grâce aux amies libraires de chez Zadig  à Saint-Claude.

Le titre sonne comme un mot laissé sur la table, mais c’est aussi l’activité principale du personnage qui passe son temps à aller marcher dans les pâturages et à écouter les oiseaux.

Le texte s’adresse à lui dans un « tu » à la fois familier et étonné, parfois agacé. En effet, ce quadragénaire est revenu vivre dans le village de son enfance dans le pays roman au pied du Jura, là où son grand-père avait une ferme et un atelier de menuiserie qu’il a dû vendre parce qu’aucun de ses enfants n’était intéressé. Mais il ne s’agit pas d’un retour à la terre car « la terre » n’existe plus mitée par les lotissements, les autoroutes, les ronds-points et l’immense chantier prévu.

Pourtant, il est là, au bistrot, chez la coiffeuse solaire et attirante, avec son neveu à qui il transmet les gestes du grand-père ; il est là, il flâne, se couche dans l’herbe, créé des objets en bois dans l’atelier prêté par le voisin . Il est là,  avec ses colères, contre son père qui a laissé partir la ferme du grand-père, contre le temps qui tue l’enfance et la forêt, contre lui-même qui ne trouve pas sa place et qui ne peut pas avoir d’enfant car il est stérile.

Mais le village et ses habitants sont plus forts que la colère et que tous leurs ennemis, il se transforme certes, on entend parler anglais à l’épicerie, et les touristes arrivent mais la rivière, les lumières, les chants d’oiseaux et l’atelier restent.

C’est un roman sur la mutation du monde rural et de ses habitants qui aurait eu la tentation de la nostalgie mais qui a su la transformer en un hymne à la singularité des paysages.

« Tu dis que c’est une contrée à deux vitesses, faite pour des cœurs différents. […] D’un côté, il y a ce que tu refuses de comprendre: pourquoi les gens ne se promènent plus à pied, pourquoi ils veulent tous une maison, pourquoi ensuite on les voit plus de la journée et que la maison reste close jusqu’à ce qu’ils rentrent à tout allure y dormir[…]. Et d’un autre, il y a ce que tu aimes. Ta contrée sent fort. La bête, la paille, la châtaigne. Ça sent la transhumance, le foin qui roule dans l’écurie. Ça travaille avec les saisons. Sur l’heure du midi, la fourche reste piquée dedans longtemps. Ça t’embrume comme un trésor »