les choses humaines Karine Tuil
Elle a eu le prix Interallié, elle aurait dû avoir le Goncourt!
Les choses humaines, Karine Tuil, Gallimard, 2019
Les choses humaines, Karine Tuil, Gallimard 2019
Les Farel Jean et Claire forment un couple en apparence enviable. Lui, homme de télévision, homme de pouvoir, autodidacte et sel made man, elle essayistes, féministe. Ils ont un garçon plus jeune qui jusque là comme on dit a donné toute satisfaction, brillant élève, sportif il va bientôt entrer dans une prestigieuse université californienne et parachever ainsi son parcours sans faute. Mais tout est faux de cette façade, ils donnent encore illusion lors de la remise de la légion d’honneur au père mais à ce moment là, Claire vit avec son amant, un professeur juif, et Jean mène depuis toujours une double vie avec une collègue journaliste.
Le soir de la remise du prix, le fils rentre au domicile de sa mère où se trouve une jeune fille, fille de cet amant. Les deux adultes insistent pour que les jeunes sortent ensemble à une soirée étudiante et là tout s’écroule. Le soir même, la jeune fille l’accuse de viol lui dit que c’était une relation consentie.
On est dans la zone grise, la zone du déni ou du mensonge.
Et pour tous et surtout pour les deux jeunes, c’est une descente aux enfers. Au-delà des faits, d’un style luxuriant et limpide, c’est l’analyse qui est intéressante :
Celle de la construction sociale parfaitement huilée qui se brise net, celle de l’incompréhension infranchissable entre les différences classes sociales, celle de la mécanique impitoyable de la justice.
C’est aussi une profonde réflexion sur la condition féminine, les femmes âgées, malades, les jeunes …
Sur la violence de la société qui valorise la performance, celle des réseaux sociaux qui valorisent le narcissisme. Et derrière tout cela, la fragilité des êtres, leur solitude, chacun à tout moment peut basculer.
C’est un roman d’une très grande profondeur dont on sort abasourdi tant par la justesse que par le brio de la démonstration. Et à la fin, tout le monde a perdu.
Les choses humaines, Karine Tuil, Gallimard 2019
Les Farel Jean et Claire forment un couple en apparence enviable. Lui, homme de télévision, homme de pouvoir, autodidacte et sel made man, elle essayistes, féministe. Ils ont un garçon plus jeune qui jusque là comme on dit a donné toute satisfaction, brillant élève, sportif il va bientôt entrer dans une prestigieuse université californienne et parachever ainsi son parcours sans faute. Mais tout est faux de cette façade, ils donnent encore illusion lors de la remise de la légion d’honneur au père mais à ce moment là, Claire vit avec son amant, un professeur juif, et Jean mène depuis toujours une double vie avec une collègue journaliste.
Le soir de la remise du prix, le fils rentre au domicile de sa mère où se trouve une jeune fille, fille de cet amant. Les deux adultes insistent pour que les jeunes sortent ensemble à une soirée étudiante et là tout s’écroule. Le soir même, la jeune fille l’accuse de viol lui dit que c’était une relation consentie.
On est dans la zone grise, la zone du déni ou du mensonge.
Et pour tous et surtout pour les deux jeunes, c’est une descente aux enfers. Au-delà des faits, d’un style luxuriant et limpide, c’est l’analyse qui est intéressante :
Celle de la construction sociale parfaitement huilée qui se brise net, celle de l’incompréhension infranchissable entre les différences classes sociales, celle de la mécanique impitoyable de la justice.
C’est aussi une profonde réflexion sur la condition féminine, les femmes âgées, malades, les jeunes …
Sur la violence de la société qui valorise la performance, celle des réseaux sociaux qui valorisent le narcissisme. Et derrière tout cela, la fragilité des êtres, leur solitude, chacun à tout moment peut basculer.
C’est un roman d’une très grande profondeur dont on sort abasourdi tant par la justesse que par le brio de la démonstration. Et à la fin, tout le monde a perdu.
Le bloc de peine, Patrick Laupin, la rumeur libre, 2019
Le bloc de peine, Patrick Laupin, la rumeur libre, 2019
Un long cri de chagrin de poète, donc oui, des hurlements de douleur, une mélancolie puissante, des images de désolation, de pleurs, de petits enfants, d’oiseaux, d’enfances terrifiées et muettes, le témoignage du vivant détruit par la misère et le travail.
Mais et pourtant, aussi l’éclatante maîtrise d’un magicien de la langue, une beauté qui coule de source, qui coule de fusion, une tendresse pour le monde, les fous, les amours et le flot de mots ininterrompus qui dit, console, célèbre et maintient en vie.
« J’aime encore le miroir des imperfections, les sons ruraux, les écluses naines, la forge bleue des chardons. Je ne sais si le ciel me touche. Si je suis vivant. Je perds courage. Je frôle en musique. Je revois l’idiot doux aux veilles chansons de remembrance, le pauvret qui rôdait sous les branches… »
« Je ne sais plus, je ne sais pas, si mon frère pense encore à moi ou s’il m’oublie seulement là-bas. Mais je nous sens si seuls et si loin maintenant. Il me manque tellement. Je revois sa tête chère immensément aplatie par le vent. Ses mains d’ouvrier terrestre dur à la tâche, sa peau couverte de cicatrices et des brûlures de carrières de chaux vive, ces cimenteries, l’aplat plein soleil de son clignement de paupières et son mal rural dans les yeux à cause des soudures et des coups d’arc. Les matins à la chaîne des usines. Le rêve maudit d’être volé dans sa chair…
« J’ai toujours dans la mémoire le malheur des pauvres gens. Misères, traites impayées, les fond de mois impossibles à passer. L’sure et la fatigue dans le mal du corps et des yeux. La dignité des reclus est gravée en effigie muette dans ma poitrine. Je revois, portes d’usines et d’aciéries, les savantes armatures et leçons des visages du soupir. Tout un océan de papier criblé de terreur et d’ennui. Je revois le cambouis de la mobylette sur le perron, vieil espace où je passe. Le gasoil qu’on n’efface pas sur la salopette bleue à l’étendage. Les aiguilles de camphré sur la commode. Assez. Tout fait mal dans le contre-jour profond du mutisme. C’est comme si dieu m’avait confié un trésor qu’il me fallait veiller et laisser croître. »
L’année des pierres de Rachel Corenblit
L’année des pierres, Rachel Corenblit
Casterman 2019, Coll. Ici/maintenant dirigée par Vincent Vuilleminot.
Dix adolescents français mal dans leur peau, envoyés de force par leurs parents ou volontaires, partent étudier un an au lycée français de Jérusalem. Ils sont à l’internat, en seconde.
Daniel, le narrateur semble nonchalant et passif mais rien ne lui échappe,
Avec lui, Christophe, son compagnon de chambre veut se faire appeler Samson pour être plus juif, les jumelles Anna et Anaïs, Sonia, Benjamin, Rose et la lumineuse Lucille que son frère a précédé en tant que soldat de Tsahal
La quatrième de couverture est géniale et donne une idée de la complexité de ce roman
« Ce n’est pas parce qu’on est paumés loin de chez nous qu’on se ressemble
Ce n’est parce qu’on devient amis que les choses seront plus simples
Ce n’est pas parce qu’ils nous prennent pour cibles qu’ils sont nos ennemis
Ce n’est pas parce qu’on est montés dans ce bus qu’on redescendra indemnes »
Ce roman est en effet remarquable
- par la narration qui va et vient dans le passé de chaque jeune pour nous expliquer son parcours et chaque raison différente de se retrouver là, dans le futur de leur vie d’adulte ils se reverront ou pas, dans le temps de leur vie à Jérusalem et dans le temps de l’attaque de bus, temps dilaté car c’est là que tout se joue
- par la richesse des vies de ces ado, ils s’aiment, se fuient, se détestent, sont riches ou pauvres, croyants ou pas…
- par l’événement qui bouleverse leur vie, leur présent mais aussi la relation qu’ils avaient avec leur passé et leur famille
Le roman s’ouvre par une attaque de pierres qui s’abat sur le bus scolaire qui les emmène en voyage culturel. Le chauffeur est tué, l’accompagnateur blessé, les élèves terrifiés. Mais coup de théâtre, l’armée intervient et arrête tous les lanceurs de pierres, c’est lé début de l’intifada, la guerre des pierres de 1987.
On revient alors par de longs flash back sur l’arrivée des jeunes, leur rencontre et la formation d’une amitié très profonde. « Tous les dix, nous sommes liés, rien ne peut nous briser »
Puis retour à l’attaque, l’armée place les hommes du village en ligne et fait défiler les jeunes du car, un par un, pour qu’ils désignent ceux qui ont lancé les pierres
Certains le font avec rage et haine, d’autres s‘y refusent car ça leur rappelle des histoires qu’ont racontées les grands parents des histoires de dénonciation qui les ont envoyé à la mort.
On a aussi une autre intrigue, Daniel retrouve à Jérusalem son grand-père Daniel qu’il ne connaît pas dont sa mère ne lui a jamais parlé, il faudra attendre la fin du récit pour découvrir une vérité effroyable, qui a un lien avec l’affaire du bus
Au début, je trouvais le roman un peu trop univoque, un peu pro juifs, mais peu à peu, l’équilibre se fait Grace à Daniel qui a un regard juste et intelligent.
C’est un roman d’ados parce qu’ils en sont les personnages principaux mais sa richesse et sa complexité sont d’une profondeur sans âge.
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Atelier d’écriture Chantier au long cours
Une fois par mois environ de septembre 2018 à juin 2019 ( au début deux fois par mois puis à partir de janvier, une fois tous les deux mois ) à la MJC de Chaponost, j’ai animé un atelier de création de récits longs, que j’ai intitulé Ecrits au long cours.
Je crois que je me suis fait accoucheuse. j’ai donc beaucoup travaillé à relire, proposer, négocier, et les participants encore plus, dans la douleur et le plaisir.
Sept récits ont vu le jour ou sont en cours d’écriture dont voici les titres provisoires :
M.J. Faure Mes mains dans la mémoire pour une vie dans les écritures
B. Guyot Dis maman il est où le bébé?
E. Rojat La fille du cap
J. Berne Kigali et Lilas, deux jardiniers des mots
A. Caudet Une fille à abattre
A. Barbier Fragments d’enfance
G. Bottazi Inconnue
Au pays du long nuage blanc avec Charles Juliet
Marie Thérèse Peyrin m’a proposé de participer à cette anthologie.
J’ai donc la joie d’avoir pu encore parler de mon voyage en Australie et Nouvelle Zélande raconté dans Pars! Travaille!
J’ai eu la joie de me glisser en pensée dans les pas et les écrits de cet auteur profond et singulier.
Et surtout je vais avoir la joie de le côtoyer pendant tout le temps de la présentation le 22 mai à Vénissieux.
Le texte que je propose s’intitule Au pays du long nuage blanc.
Des orties et des hommes, Paola Pigani, Liana Levi 2019
Des orties et des hommes, Paola Pigani
Liana Levi, 2019
Fini de lire cette nuit de pleine lune le troisième roman de mon amie Paola Pigani , Des orties et des hommes et je ressors très secouée, emballée et admirative .
C’est l’enfance de Pia qui vit avec ses parents venus d’Italie pour « faire souche » en Charente, dans les années 70 et ses quatre frères et sœurs, le père exploite en fermage une ferme de vaches laitières.
C’est une enfance libre et heureuse malgré les travaux pénibles, ramasser la caillasse, le bois, aider le père à l’étable, la mère à faire le beurre, la cuisine, une enfance pauvre, jamais un vêtement neuf, jamais une sortie, mais la joie du père et son espoir, l’amour de la mère pour tous irriguent chaque instant. Le père paysan-ferrailleur qui trouve avec ses enfants des trésors dans les décharges, rachète quelques méchants bouts de terre que personne ne veut, fait construire une maison neuve à côté du vieux bâtiment qu’il a en fermage, lutte contre les dettes, le crédit agricole, les conseils de son fils formaté par le lycée agricole et chante toujours en italien.
J’ai été très touchée par la puissance de l’ écriture poétique, une image dans chaque phrase, pour dire et irriguer de beauté un monde dur, trivial justement, l’agonie des dernières petites exploitations dont les chefs se suicident ou craquent et s’en vont, un monde « où tout se sait et tout se tait » le voisin Aboyeur qui terrifie son fils Christophe, l’autre voisin, Joël, le bossu dont la ferme brûle, mais jamais une plainte, des personnages rayonnants de bonté, la nonna et ses merveilleuses mains de couturière, son renard ramené d’Italie, qu’elle porte fièrement sur l’épaule à l’église, ses chèvres joueuses, Armande, et ses orties, les sœurs et leurs rêves, aucun personnage n’est simple, tous ont une richesse intérieure, un rêve, l’amour des bêtes, un mystère aussi .
Le regard de l’enfant devient celui d’une adolescente des années 70, la poésie qu’elle écrit ou recopie sur son cahier, les lettres d’un Poilu trouvées dans une maison à vider, les lectures, les rencontres au pensionnat ouvrent son univers. La sécheresse de l’été 76, l’envie de fuir « cette terre, où l’on n’a pas de morts » où l’on est toujours un peu étrangers comme les manouches, comme le Portugais ou les turcs ouvriers agricoles, l’envie de parler au garçon à l’harmonica, sont autant de signes de la fin de l’enfance.
C’est un roman très riche, foisonnant de thèmes, les rapports entre frères et sœurs, l’éveil à l’amour, à la sensualité, l’exclusion sociale, la solitude des campagnes, la honte des mains du père, la révolte et le syndicalisme des paysans, l’ennui au collège, la violence du silence, mais tous ces thèmes sont traités en douceur, en souplesse, incarnés dans des personnages complexes, dans de courts récits souvent d’initiation, le premier voyage, la première rencontre avec les bourgeois, le premier petit boulot…dans des explorations toujours plus audacieuses, de l’environnement, du château, de la petite ville voisine.
Les descriptions de ces bois, cette campagne, ces rivières, ces maisons ne sont jamais ennuyeuses tant elles sont aiguisées par le regard curieux et la soif de découvertes et de sensations de Pia.
Difficile de trouver une comparaison tant il est original, peut-être du côté de Franck Bouysse et son superbe Grossir le ciel ou de Marie-Hélène Laffon et ses Paysans.
Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu, Actes Sud
Nicolas Mathieu
Leurs enfants après eux
Actes Sud
Quatre jeunes, Anthony, son cousin, Hacine et Steph, une vallée de l’est, des hauts fourneaux éteints, un lac à l’eau sale et un après-midi de canicule. Eté 92, Anthony et son cousin volent un canoë pour aller mater les filles nues, Anthony voit Steph et elle lui brûle les yeux, leur destin s’enclenche.
Le même jour, dans une soirée de riches, Hocine vient faire son caïd, se fait virer et vole la moto du père d’Anthony.
Ensuite, il y aura trois autres étés, 94, 96 et 98, le dernier celui de la coupe du monde. De foot. Et nous y retrouverons ces jeunes à un moment de leur trajectoire, le cousin amoureux, Hacine en train de s’enrichir puis de se faire plumer au Maroc, Anthony, au lycée, puis au chômage puis engagé, les destins se croisent et se recroisent, les pères ont travaillé dans les mêmes usines . C’est le roman d’une vallée qui a perdu ses usines, ses syndicats, où ceux qui peuvent vont travailler au Luxembourg, d’une époque où le chômage monte en flèche, où les petits boulots font leur apparition, caristes dans les entrepôts, remplisseurs de machine à boissons, serveurs, l’époque de l’adolescence.
C’est surtout le roman d’un peuple perdu, celui des petites villes, des pavillons à crédit, des fêtes du 14 juillet, des coupes du monde de foot, des samedis dans les galeries commerciales et au bistrot. La France du Picon, des bières, de Johny Halliday, des femmes et des hommes qui crament leur jeunesse à coup de joints, d’alcool, de soirées jeux video et de courses en moto parce qu’ils savent inconsciemment que très vite, ce sera fini.
Ils seront usés, désillusionnés, assommés comme leurs parents. Ils rêvent tous de partir mais seuls les bourgeois avec l’argent de leurs parents qui paiera les écoles de commerce y arriveront.
Le style est remarquable, de roman noir, il frappe, énumère les malheurs, donne des coups de poing à la langue. Les dialogues sont au plus juste et les personnages de père, celui d’Anthony, Franck, le costaud qui finira par se noyer dans le lac , le père d’Hacine Bouali qui s’accroche à sa dignité, la mère d’Anthony, qui tente de rester la belle fille qu’elle a été, tous sont remarquablement humains, dans leur tentative d’aimer leurs enfants et dans leur résignation à les voir devenir comme eux.
L’ampleur des sujets politiques, historiques, économiques, le nombre de personnages et d’histoires, la violence de certaines scènes, l’érotisme brûlant de certaines autres en font un roman social ambitieux le plus juste, le plus beau que j’aie lu depuis Daeninckx ou Manchette.
A son image, Jérôme Ferrari, Actes Sud 2018
Jérôme Ferrari, A son image, Actes Sud 2018
Du bon Ferrari, on retrouve sa phrase longue sinueuse, précise et imagée qui vous emmène sur les routes de Corse comme sur celles des interrogations les plus philosophiques portant sur la représentation de la mort, sur la présence de Dieu, sur la vocation religieuse…
Un roman puissant dont l’héroïne Antonia, jeune photographe, meurt dès les premières pages et c’est lors de la messe , que le prêtre son parrain et oncle, tout en célébrant à contre cœur sa messe de funérailles, se remémore son enfance passionnée, son adolescence et sa jeunesse coincées au village et sa passion de photographier la vie. Pour vivre sa vocation, elle part pour la Yougoslavie et la guerre et ne ramènera pourtant aucune photo de l’horreur.
Le récit brasse les mystères de la mort, de l’image, de la représentation juste par la photographie, de la cruauté des hommes qui aiment se faire prendre en photo devant des cadavres aussi facilement que le jour de leur mariage.
Un mélange du quotidien trivial d’une jeunesse qui s’ennuie horriblement dans les petits villages corses, qui boit et baise à l’arrière des voitures, qui accepte des codes sociaux d’une rigidité historique et violente, des milieux indépendantistes très mesquins, bravaches et incapables de s’unir, qui finissent par se battre entre eux faute d’ennemi .
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