La Foudre, Pierric Bailly, POL 2023

La Foudre, Pierrick Bailly, POL 2023

 

Depuis Polichinelle paru en 2008, Pierric Bailly conduit une œuvre originale et attachante qui, peu à peu, fait de lui un écrivain connu et l’écrivain du Jura, comme Giono l’était de la Provence.

Son dernier roman La Foudre était très attendu, les libraires jurassiens attendaient leur pile de livre parce qu’ils l’aiment et savent que les Jurassiens l’aiment.

 

Après Le roman de Jim paru en 2021, dont le cadre était également le Haut-Jura et dont héros, un jeune homme vivant de petits boulots, tombe amoureux d’une femme enceinte, s’attache à l’enfant qui naît mais n’est pas le sien, l’élève puis le perd et doit s’en séparer parce que la mère de l’enfant le quitte, voilà encore un personnage masculin tendre, hésitant, fou amoureux et victime.

Le héros et narrateur de La Foudre John, trentenaire est un berger d’estive dans les Monts Jura l’été et il exerce des boulots saisonniers de station de ski l’hiver.  D’emblée, on s’attache à cet homme, sa « vie sauvage » nous fascine, ses rencontres avec les lynx, les renards, les chamois, son travail de berger, ses chiens Patou et jusqu’à son caractère un peu rude quand il croise trop de touristes dans ses pâturages nous le rendent familier. Il a une amie, professeur d’anglais, avec qui il s’entend très bien, mais elle rêve d’exotisme, elle veut partir à la Réunion, ils ont le projet d’avoir des enfants, il accepte de la suivre, il dit ne pas être si attaché que cela à son pays natal et il pourra là-bas peut-être monter son propre troupeau.  Le décor, hautes Chaines des Monts Jura en balcon sur la plaine de Gex et le lac Léman, les orages, la neige, les forêts de hêtres et d’épicéas, l’hiver très long est posé, nous pensons donc avoir affaire à un roman de nature writing à l’américaine et nous sommes enchantés que ce soit dans le Jura, territoire peu arpenté par les écrivains contemporains.

Mais voilà que notre berger lit un article où il est question de son ami de jeunesse, Alexandre dit Alex, qui est accusé d’un meurtre sauvage, il a tué à coup de planche un jeune homme.  John, d’abord incrédule, s’intéresse de plus en plus à cette affaire et, remontent alors en lui tous les souvenirs de sa jeunesse, de sa vie à l’internat de Lons-le-Saunier et de la fascination qui exerçait Alex sur lui et tous ses camarades.  Alors il reprend contact avec Nadia, la femme d’Alex, il apprend qu’ils ont deux enfants, ils se voient, il la console et la soutient dans l’attente du procès.  En même temps que le récit avance vers le jugement d’Alexandre aux assises de Lyon, les retours en arrière décrivent une relation entre les deux hommes, plus complexe qu’il n’y paraît, John n’était pas que fasciné par Alex, il en était jaloux, maladivement, au point d’imiter son rire, au point de l’agresser devant la bande de copains.

Alex est jugé à Lyon, le récit du procès est très bien mené, beaucoup de suspense, ça me fait penser aux chroniques judicaires d’Emmanuel Carrère, on est vraiment à l’intérieur des têtes des jurés, des juges, des parties civiles, de Nadia et bien entendu, de John, l’observateur passionné.

Alex est condamné à 5 ans de prison et John devient, sans l’avoir voulu, (mais que sait-on vraiment de nos désirs profonds) l’amant de Nadia, il abandonne son projet de la Réunion, quitte son amie et se consacre follement à Nadia.

On se dirige alors peu à peu vers un récit de relation amoureuse passionnée mais le malaise persiste, est-il amoureux de la femme et des enfants d’Alex parce qu’il a été fasciné par lui ? Ou veut-il se lover dans le nid de son ami comme le coucou ?  Est-ce une façon de se venger ?  Le récit d’une emprise se met en place autant que celui d’une relation amoureuse.

S’y ajoute un conflit également très intéressant sur les problèmes d’écologie liés à l’élevage : Alex est un défenseur passionné des loups, des lynx, de toute vie animale, il est vétérinaire et sauve les animaux, John, lui, élève des bêtes qu’il aime mais qu’il amènera sans problème à l’abattoir, pourtant, il connaît mieux le monde animal que son ami vétérinaire.

 

Rien n’est tranché, les héros ne sont pas jugés, on est à l’intérieur de leurs contradictions.

 

J’ai aimé ce roman, je l’ai lu d’une traite, mais je lui trouve aussi des défauts, des défauts attachants, ses longueurs, son intrigue parfois un peu lâche, son style parfois un peu plat, bref j’ai aimé un roman très, très humain.