Toujours tiraillée entre l’envie d’un calme sédentaire, d’une table d’écriture, à jamais placée devant la même fenêtre, de rituels quotidiens, d’horaires réguliers, ce qui, d’après tous les écrivains, est absolument nécessaire, et l’autre envie puissante, renaissante à chaque printemps, jamais fatiguée par l’âge, que je calme en longues marches dans les monts du Lyonnais, l’envie de tailler la route ; alors je lis des livres de voyages, des carnets de route.
Hier, deux récits Chemins d’eau de Jean Rolin, ses vagabondages le long des canaux de France, j’ai été souvent agacée par ses discours persifleurs, son regard trop consterné par la laideur.
Mais, après, je me suis lancée à corps perdu sur la route de Sylvain Tesson dans Eloge de l’énergie vagabonde, je l’ai suivi à travers les steppes de l’Ouzbékistan, de l’Azerbaïdjan, le long des pipelines et gazoducs, je le suis, affamée de ses aventures, éperdue d’admiration et d’envie comme une adolescente. Une halte, une rencontre, une route, une pensée, mais jamais ennuyeuse, jamais un poncif, il va toujours à l’os.
« L’énergie déserte les êtres qui connaissent trop bien les labyrinthes de leur vie, ceux qui n’attendent plus rien des instants à venir, et ceux, qui par peur, de l’inattendu s’enferment dans le mur de l’habitude. A chaque tic-tac de l’horloge du temps, les parois leur renvoient l’écho du tic-tac précédent au lieu de leur chanter la musique de l’inconnu. Pour avancer dans le couloir du temps, il faut donc choisir son camp en saisissant son arme : soit un bouclier frappé au blason de l’habitude, soit une épée tranchante pour faucher l’obscure lumière de l’imprévisible.
Le voyage constitue le terrain idéal de la nouveauté. Le vagabond y combat à chaque instant le racornissement. Son chemin est pavé d’imprévu. L’incertitude de son sort l’oblige à se tenir en éveil. Chaque pas peut cacher une chausse-trappe, chaque kilomètre et chaque minute receler le germe de l’improbable. L’inattendu le guette au détour de la laie. Il voyage dans l’espoir de recevoir sans cesse la gifle de la nouveauté, la piste est sa centrale énergétique. Le voyage, l‘intervalle entre les habitudes. Les Sarmathes et les Scythes dont je foule l’aire, les racleurs d’horizon et les nomades du monde entier se sont adaptés corps et âmes à l’imprévu. Ils avancent, sereins, préparés à l’affronter. Le sédentaire, lui s’est installé pour l’abolir. » p 53 54