J’ai parlé récemment de la difficulté de la transposition littéraire du témoignage ouvrier à partir du magnifique Mémoires de l’enclave à l’université Lyon 2, la recherche, la quête de J.P. Goult des voix ouvrières, des voix vivantes, j’ai expliqué comment il avait recueilli cent cinquante témoignages, les avait retranscrits de toutes les manières, avait fouillé toutes les archives, décrit les habitats et les ateliers, l’architecture des usines des champs, puis j’ai parlé de Ouvrière de Franck Magloire, un roman où le fils propose à sa mère d’écrire ses mots, « Des mots qui lui appartiennent et qui me ressemblent » demande la mère.
Et je viens de lire Mélancolie ouvrière de Michelle Perrot ( toujours grâce à Elmone de la librairie l’Etourdi de Saint-Paul). Encore une autre tentative d’aborder, d’approcher avec délicatesse et souci de vérité, la réalité ouvrière. Michelle Perrot là aussi, dans un dialogue longtemps différé, met toutes ses connaissances d’Historienne des femmes, son talent d’écrivain longtemps cantonné aux textes historiques, son empathie de femme pour une autre femme, elle entoure le témoignage trop succinct, trop timide, trop cantonné à la lutte syndicale et ainsi le rend plus vibrant, plus vivant, plus résonnant. Mais elle nous livre aussi toutes ses ignorances, tous les gouffres que l’oubli a creusé, et chemin faisant, elle nous place au coeur de ce silence ouvrier et plus encore de ce silence de l’ouvrière.
A la fin de ce court texte, elle rappelle que « Jusque dans les années 70, les sociologues enregistrent une résistance têtue à parler de soi, ce qui freine l’histoire orale, pourtant destinée aux sans voix. Il a fallu la tendre obstination d’un fils, Franck Magloire, pour que sa mère employée chez Moulinex à Caen accepte de raconter sa vie ouvrière. »