Des orties et des hommes, Paola Pigani
Liana Levi, 2019
Fini de lire cette nuit de pleine lune le troisième roman de mon amie Paola Pigani , Des orties et des hommes et je ressors très secouée, emballée et admirative .
C’est l’enfance de Pia qui vit avec ses parents venus d’Italie pour « faire souche » en Charente, dans les années 70 et ses quatre frères et sœurs, le père exploite en fermage une ferme de vaches laitières.
C’est une enfance libre et heureuse malgré les travaux pénibles, ramasser la caillasse, le bois, aider le père à l’étable, la mère à faire le beurre, la cuisine, une enfance pauvre, jamais un vêtement neuf, jamais une sortie, mais la joie du père et son espoir, l’amour de la mère pour tous irriguent chaque instant. Le père paysan-ferrailleur qui trouve avec ses enfants des trésors dans les décharges, rachète quelques méchants bouts de terre que personne ne veut, fait construire une maison neuve à côté du vieux bâtiment qu’il a en fermage, lutte contre les dettes, le crédit agricole, les conseils de son fils formaté par le lycée agricole et chante toujours en italien.
J’ai été très touchée par la puissance de l’ écriture poétique, une image dans chaque phrase, pour dire et irriguer de beauté un monde dur, trivial justement, l’agonie des dernières petites exploitations dont les chefs se suicident ou craquent et s’en vont, un monde « où tout se sait et tout se tait » le voisin Aboyeur qui terrifie son fils Christophe, l’autre voisin, Joël, le bossu dont la ferme brûle, mais jamais une plainte, des personnages rayonnants de bonté, la nonna et ses merveilleuses mains de couturière, son renard ramené d’Italie, qu’elle porte fièrement sur l’épaule à l’église, ses chèvres joueuses, Armande, et ses orties, les sœurs et leurs rêves, aucun personnage n’est simple, tous ont une richesse intérieure, un rêve, l’amour des bêtes, un mystère aussi .
Le regard de l’enfant devient celui d’une adolescente des années 70, la poésie qu’elle écrit ou recopie sur son cahier, les lettres d’un Poilu trouvées dans une maison à vider, les lectures, les rencontres au pensionnat ouvrent son univers. La sécheresse de l’été 76, l’envie de fuir « cette terre, où l’on n’a pas de morts » où l’on est toujours un peu étrangers comme les manouches, comme le Portugais ou les turcs ouvriers agricoles, l’envie de parler au garçon à l’harmonica, sont autant de signes de la fin de l’enfance.
C’est un roman très riche, foisonnant de thèmes, les rapports entre frères et sœurs, l’éveil à l’amour, à la sensualité, l’exclusion sociale, la solitude des campagnes, la honte des mains du père, la révolte et le syndicalisme des paysans, l’ennui au collège, la violence du silence, mais tous ces thèmes sont traités en douceur, en souplesse, incarnés dans des personnages complexes, dans de courts récits souvent d’initiation, le premier voyage, la première rencontre avec les bourgeois, le premier petit boulot…dans des explorations toujours plus audacieuses, de l’environnement, du château, de la petite ville voisine.
Les descriptions de ces bois, cette campagne, ces rivières, ces maisons ne sont jamais ennuyeuses tant elles sont aiguisées par le regard curieux et la soif de découvertes et de sensations de Pia.
Difficile de trouver une comparaison tant il est original, peut-être du côté de Franck Bouysse et son superbe Grossir le ciel ou de Marie-Hélène Laffon et ses Paysans.