Heurs et malheurs du populisme, mouvement littéraire des années 30 à nos jours et prix littéraire un peu discuté

P1090620Heurs et malheurs du  populisme, mouvement littéraire  des années 30  à nos jours et prix littéraire

P1090562Le populisme un mot très galvaudé aujourd’hui, « un mot qui n’a pas de chance », comme le dit Cavanna.[1] Mouvement politique russe, idéologie, mouvement littéraire français,  phénomène politique international lié à un homme providentiel et à l’utilisation massive des émotions et de la démagogie dans le discours ?  Russe, international, français ? Par exemple,  le petit Robert 1978 le définit ainsi «  Origine  populus, latin peuple, école littéraire qui cherche, dans les romans, à dépeindre avec réalisme la vie des gens du peuple. » Alexandre Dorna, dans Le populisme ne fait aucune allusion à l’école littéraire,  situant ce mouvement dans un contexte exclusivement politique, comme si le phénomène politique avait complètement oblitéré l’école littéraire. Il insiste sur la difficulté à le définir : « Le populisme est-il devenu ainsi un concept  trop évasif et équivoque, perçu comme quelque chose de bizarre et de négatif, voire comme un objet à connotation péjorative ? »[2]

Alors quel est le rapport entre tous ces populismes politiques et littéraires ?

Nous allons donc essayer de retracer les grandes lignes du mouvement littéraire, celui qui nous intéresse ici,  depuis ces origines jusqu’à nos jours,  de délimiter les contours du  mouvement littéraire  et de l’idéologie qui lui a donné naissance, en passant par la création du prix populiste en  1931, par son histoire, ses heurs et malheurs et nous nous poserons la question d’un populisme littéraire d’aujourd’hui.

Nous avons la chance de travailler sur un mouvement daté par  un manifeste littéraire paru le 27 août 1929 dans L’œuvre, écrit par Léon Lemonnier, acte fondateur d’une nouvelle école littéraire : le roman populiste. Le choix du mot ? Léon    Lemonnier dit qu’« il a cherché la plus violente antithèse avec ce qui nous répugne le plus, le snobisme. »[3] Mais en disant cela, il situe ses ennemis mais pas ses amis et ses influences, il n’explique pas les affinités de son école avec un mot qui existait déjà et qui désignait  le mouvement révolutionnaire russe dès  1848 et dans tout le XIX° avec ses différents courants et ses différentes phases. Les définitions de ce courant politique sont également contradictoires. Elles sont toutes citées dans un article de  Michel Niqueux, Le populisme russe vu de France : revue critique.  Nous en retiendrons seulement quelques-unes :

«  En Russie, le populisme Narodnichestvo fut un mouvement révolutionnaire de gauche pendant lequel les intellectuels idéaliseront  la paysannerie et conçurent l’idée d’édifier une société socialiste sur les traditions communautaires qui survivaient dans la vie villageoise russe. A son apogée, en 1874, les jeunes intellectuels populistes « allèrent au peuple »  prêcher le socialisme dans la campagne. Mais les paysans restèrent insensibles. » [4]

Pour différencier ce populisme originel  du XIX° des populismes d’aujourd’hui, les Russes ont créé, depuis les années 90, un autre mot, le terme popoulizm.

André Pessin, anarchiste lyonnais a publié, à l’atelier de création libertaire de Lyon, un ouvrage peu cité, Le populisme, le populisme russe  1821 1881 ou la rencontre avec un peuple imaginaire, où il explique l’idéal de ce mouvement révolutionnaire :

«  Le mythe idéal du populisme russe est fait de cinq  vérités premières :

Le peuple contre l’état

La fuite (hors du temps de l’état – phénomène foncièrement russe)

La dette de l’intelligentsia envers le peuple

L’idée du « peuple ferment »

La fraternisation. [5]» Il rejette toute filiation entre le populisme russe et les populistes modernes.

«  Pour le populisme mythique, le peuple était une idée féconde… La pensée du peuple, c’était l’hypothèse que quelque chose était à rejoindre et que des cheminements divers, ceux de la jeunesse lettrée et déclassée et ceux de la masse pour l’instant informe finiraient par se rencontrer et que tous, les uns et les autres, seraient bouleversés par cette rencontre au point d’inventer une vie nouvelle.

Rien de tel chez les populistes modernes. Le peuple n’est pas pour eux un chemin de connaissance. Ces populistes modernes,  à qui on aurait mieux fait de conserver leur vieux nom toujours valide, celui de démagogues, clament que le peuple existe comme une force tranquille aussi longtemps qu’ils le maîtrisent, qu’il est seulement dépossédé de lui-même par des élites perverties. Et qu’il suffit donc pour retrouver intacte sa vertu de le doter de chefs à son image, sains et efficaces ».[6]

Maintenant que nous avons différencié populisme russe et populisme actuel, quel est le rapport entre populisme russe et populisme littéraire français ?  Bien qu’ils n’aient jamais  été mentionnés explicitement par les fondateurs, les apports du populisme russe  sont donc assez clairs, en littérature aussi « il  faut aller au peuple », le peuple est une idée féconde, un sujet d’inspiration.

Le terme désignant le  populisme littéraire est tout aussi confus que le terme désignant le populisme politique.  Alexandre Dorna, qui, nous l’avons vu, ne cite jamais dans son Que sais-je ? Le mouvement populiste littéraire français,  cite la littérature populiste, mais, pour lui, ce sont les textes de penseurs aussi hétéroclites que Saint-Simon, Leroux, Blanqui, Barbès, Blanc, Hugo, Michelet, Quinet  qui plaident la cause sociale.

Hermet, dans Les populismes dans le monde, mentionne un  populisme littéraire illustré par Tourgueniev, Tolstoï  (le retour au peuple) et Dostoïevski, (le peuple théophore) qui attendent  la venue d’un homme nouveau.  D’après Michel Niqueux, « Le terme  désigne aussi un groupe d’écrivains des années 80 qui décrit la campagne russe en en idéalisant ses fondements, et notamment la commune rurale ou en montrant les ravages des capitalismes (N. Zlatovraski, Gleb Oupenski). »[7]

Voyons donc ce que disent exactement les textes qui définissent l’école populiste, d’abord le manifeste paru le 29 août  1929 dans L’œuvre et ensuite un article paru  le 15 novembre 1929 dans Le mercure de France intitulé Le roman populiste qui répond aux critiques et aux objections soulevées par le manifeste. Ces deux textes sont écrits par Léon Lemonnier.

D’abord, il faut dire que la mode était aux manifestes. Rappelons que l’école naturaliste était née officiellement avec la publication des Soirées de Médan de 1880 et morte après Le manifeste des cinq en 1887. Il est donc logique que le populisme se définisse dans les pages d’un manifeste.

Le populisme se fonde d’abord en s’opposant :

Il s’oppose dans un style virulent, mais c’est le style des manifestes, d’abord  au roman bourgeois à la mode dans les années 20, bien pensant, convenable et dont les sujets  et personnages appartiennent tous à la bourgeoisie.  «  Nous en avons assez des personnages chics et de la littérature snob : nous voulons peindre le peuple. Mais avant tout, ce que nous prétendons faire, c’est étudier attentivement la réalité. »[8]

La réaction des tenants du populisme se situe donc dans un premier temps  dans le domaine des contenus : sujets et  personnages.

Mais ce roman bourgeois se voulait également une protestation contre le roman naturaliste,  en effet,  avec la même virulence,  Lemonnier va s’opposer,  en deuxième lieu, au naturalisme. Il lui reproche sa  langue démodée, « ses néologismes bizarres, sa façon d’utiliser le vocabulaire et l’argot des métiers », et surtout « ses doctrines sociales qui tendent à déformer les œuvres littéraires ».[9] La critique porte donc sur le  style naturaliste et les romans à thèse, en général, naturalistes ou pas.

Lemonnier définit ensuite  ce que souhaite le populisme:

– « hardiesse dans le choix des sujets »

–   un autre choix de personnages « En finir avec les personnages du beau monde, les pécores qui n’ont d’autre occupation que de se mettre du rouge, les oisifs qui cherchent à pratiquer des vices soi-disant élégants. Nous voulons aller aux petites gens, aux gens médiocres qui sont la masse de la société et dont la vie aussi compte des drames. »[10]

L’objectif de l’auteur du manifeste  concerne l’intention mais aussi le style préconnisé :

«  Faire simple et vrai ».[11]

Pour résumer, non aux personnages, sujets et milieux décrits par le roman bourgeois, non au style et aux thèses du roman naturaliste, préférons des petites gens, des milieux simples, des sujets  forts,  des drames et un style simple,  sans thèse socialisante. Cette école se donne pour chef André Thérive, qui vient de publier Souffrances Perdues et Sans âme en 1928. Attardons-nous quelques minutes sur Sans Ame. C’est un roman dont le héros Julien est ouvrier. Tout le roman se passe dans le milieu des chambres d’ouvriers, de bonnes et de prostituées. Une danseuse et prostituée Lydia, amoureuse de Julien  meurt dans des conditions terribles à  la suite d’un avortement. Les personnages s’expriment dans leur langage ou ce qui est supposé être le leur. C’est vrai que, à l’époque, ce genre de roman devait dépayser mais il est difficile de faire vraiment la différence avec un roman naturaliste comme Germinie Lacerteux, peut-être moins de descriptions et un langage effectivement plus simple.

Trois mois plus tard, dans l’article du Mercure de France, Lemonnier sera amené à préciser de nombreux points encore un peu vagues. Dans le manifeste, le ton était offensif, là il est plutôt défensif et répond à de nombreuses objections.

Première objection : le nom choisi : «  On nous a demandé pourquoi nous avions pris ce mot qui a déjà un sens dans la politique de l’Europe centrale. Et comme nous interrogions pour connaître ce sens, personne n’a pu nous répondre très exactement. Nous sommes donc tranquilles de ce côté : le mot aura en français la signification que nous voudrons lui donner. »[12] On voit que Lemonnier  répond par une pirouette, les fondateurs n’ont jamais eux-mêmes élucidé ou reconnu l’apport du populisme russe.

Deuxième objection : Le mot garde sa valeur politique et « nous aurions l’air pour le moins de bolchevistes »[13] Réponse : non, nous sommes de purs gens de lettres.

Troisième objection : Vous n’êtes pas d’origine  populaire «  Mon Dieu non, un écrivain venu du peuple est, sous nos climats, un oiseau assez rare. » Et nous sommes de la petite ou grande bourgeoisie. Soulignons la mauvaise foi car, à la même époque, des écrivains venus du peuple existaient et fonderont leur propre école. Nous y reviendrons.

Quatrième objection : On va vous prendre pour des romanciers populaires. Savourons la réponse : «  Peut-être a-t-on voulu être aimable et insinuer que, si nous écrivions des histoires grossièrement machinées, nous ne tarderions pas à devenir riches. »[14]

Cinquième objection : « Prétendez-vous écrire pour le peuple ? Non certes, nous serions heureux d’être lus par lui, mais nous ne l’espérons point. Il faudrait réformer ses goûts, refaire son éducation, bref prendre une attitude politique et sociale dont nous nous gardons comme d’une peste. »[15]On ne peut être plus clair sur le rejet viscéral de toute volonté militante réformiste ou gauchiste.

Ayant balayé toutes ces objections, Lemonnier revient sur le cœur du manifeste et son opposition au naturalisme. Il s’oppose au roman à thèse qui cherche à prouver quelque chose, les populistes ont cette devise «  le roman pour le roman ». Il rejette donc le scientisme de Zola, les essayistes comme Paul Bourget, les romans sur l’hérédité des naturalistes. Pour eux, le roman d’observation est une utopie au nom de la formule «  L’art est un mensonge ou si l’on veut une comédie supérieure». Il refuse également l’idée que la créature humaine ait une cohérence, qu’il y ait un rapport évident entre ses actes et ses pensées, entre son physique et son mental,  par conséquent tout roman qui prétendrait prouver une théorie par un personnage se trompe. Pour lui, il y a également divorce complet entre l’homme et l’écrivain. Il cite Mallarmé, petit bourgeois, écrivant des poèmes bien étranges. Il ne faut pas chercher l’homme derrière l’auteur, la littérature est pure fiction. Et pour les mêmes raisons, parce que l’art est un mensonge, il rejette avec un humour cinglant le roman d’observation des naturalistes.

« Il ne s’agit pas comme chez les naturalistes de la caricature de se lever à quatre heures du matin en baillant «  Bon Dieu, c’est vrai, il faut que j’observe le lever du soleil. » Il ne s’agit pas de se dire « je vais écrire un roman sur les mœurs des chiffonniers dont je ne sais rien encore et pour cela je vais interviewer trois chiffonniers et fouiller les poubelles pendant trois jours  ». L’observation factice et mal digérée fut encore une erreur naturaliste. »[16]

Le romancier peut observer « mais il doit oublier ses observations, ne pas déverser ses notes dans le roman mais au contraire les détruire afin de les transposer, de les recréer afin d’imaginer le réel. »[17]

Que veulent donc les populistes ? Ils ne veulent ni un changement politique ni une amélioration de la vie du peuple.

Ils veulent tout simplement du nouveau en littérature, un changement dans le sujet «  Or à l’heure qui sonne, nous avons eu tant de littérature bourgeoise qu’un renouvellement n’est possible qu’avec le contact avec le peuple » Le peuple comme personnages neufs, comme source d’inspiration inédite : « Car le peuple  offre une matière romanesque très riche et à peu près neuve » Mais pas tel que l’ont traité les naturalistes. «  Ce fut l’erreur des naturalistes de le prendre pour un troupeau bestial en proie à ses instincts et à ses appétits » « Eux veulent le peindre autrement en montrant non seulement ses qualités mais la pittoresque rudesse de sa vie »

Ils ne veulent pas d’un peuple vicieux  et bizarre. «  Finissons –en avec cette psychologie emberlificotée, avec ce pot pourri de vices qui n’ont jamais existé que dans les maisons  spéciales … »

Et le style devra être à l’image de leur peuple « simple et vrai », « pas de fantaisie brillante mais l’observation sincère et courageuse », « la chose exprimée a plus d’importance que l’expression. Usons comme le peuple de mots francs directs et durs ».[18]

Cette école fondée par des intellectuels pour des intellectuels et prenant le peuple comme sujet nouveau et pittoresque, suscita des protestations véhémentes chez les écrivains prolétariens. Les réactions sont résumées  et justifiées par Michel Ragon :

« Jamais un écrivain ouvrier n’a cherché à décrire la médiocrité.  La littérature ouvrière n’a jamais eu pour but de glorifier la platitude. Son but est même tout autre. Elle tend à démontrer que le peuple a aussi son élite, que les métiers ont eux aussi leur beauté, que l’âme populaire n’est pas sans noblesse, qu’elle a ses espoirs et ses haines, une volonté collective et qu’elle tend à un devenir. »[19]

Michel Ragon cite encore un écrivain paysan belge Francis André :

«  Il ne s’agit pas de savoir si nous sommes une matière intéressante, un beau sujet, un filon littéraire. Parlez de nous ou n’en parlez-pas : qu’est-ce que ça peut nous faire ? L’essentiel est de savoir s’il y a réellement parmi nous, parmi la race de ceux qui tiennent la charrue, qui manient la cognée, le pic, les manettes et les leviers, des pensées qui naissent et s’agglomèrent, des forces qui s’éveillent. »[20]

Et c’est afin de réagir contre le populisme et de montrer que le peuple pouvait écrire sur lui-même que se fonda une nouvelle école, l’école prolétarienne. C’est dans un essai paru en 1930, Nouvel âge littéraire [21]que Henry Poulaille  tente d’en définir le contenu. Disons que l’opposition la plus radicale porte sur l’origine de l’écrivain. L’école prolétarienne met en avant des gens du peuple qui écrivent ; appartenir au peuple et être authentique, c’est pour L’Ecole Prolétarienne une nécessité, (citons Poulaille, Marc Bernard, Tristan Rémy, Constant Malva, Plisnier, Edouard Peisson) alors que l’écrivain populiste n’est pas issu du peuple et ne s’en afflige pas.

L’école populiste fut également dénoncée par les marxistes et, fait plus rare, par ceux-là mêmes qu’elle désignait comme populistes comme Eugène Dabit  qui obtint en 33 le premier le prix du roman populiste et  Gérard Mordillat qui fut lauréat en 87.

Il nous faut maintenant parler du prix du roman populiste. Pour rendre l’école plus visible, je pense, les fondateurs Thérive et Lemonnier eurent l’idée de créer un prix décerné chaque année par un jury à un roman qui répondrait aux critères fixés par le manifeste. Je ne sais pas si ce fut une bonne idée. Certes, sans le prix, parlerait-on encore aujourd’hui de l’école populiste ?  Mais l’histoire du prix est assez mouvementée et sa nature controversée, la confusion de départ qui entoure le terme « populisme » ne s’est pas dissipée, elle alimente toujours les polémiques et les critiques.

Créé en1932, le prix comptait dans son jury Georges Duhamel, Jules Romains, Thérive, Gabriel Marcel et Armand Lanoux.  Il fut arrêté pendant la guerre et ses fondateurs ne se relevèrent pas de leur participation  à L’Œuvre, journal qui a prôné la collaboration jusqu’en 44. Il reparaît cependant après guerre et est décerné sans interruption jusqu’en 77. Nouvel arrêt dû à la mort de son dernier fondateur. Il est relancé par Armand Lanoux qui meurt à son tour. Mais il renaît encore grâce à une association de restauration du prix du roman populiste et un nouveau manifeste signé Joseph Da Costa, actuel secrétaire et cheville ouvrière du prix,  publié en 84.

Ce manifeste rappelle  l’idée de départ, à savoir l’opposition à toute littérature bourgeoise mais il admet que la société a changé, que les tabous ont presque tous disparu et que « choquer devient impossible » La seule définition du roman populiste est celle-ci : « Une littérature qui appréhende et reflète les problèmes de la société contemporaine » et « Une littérature vigoureuse et drue qui s’oppose à la littérature de serre, sophistiquée et éphémère ».

On suppose que la littérature sophistiquée visait peut-être le nouveau roman et ses tentatives  parfois obscures, ses écritures limites. Nous remarquons que, si le contenu est à peu près défini, rien n’est dit explicitement sur le style ni sur l’intention. Da Costa ajoute une intention extérieure à l’écriture, une vocation militante de promotion de ces écrivains. Il souhaite encourager les jeunes écrivains, aider le public à les découvrir, décentraliser l’attribution  « car le tissu provincial a conservé dans son humus le goût des choses fortes et simples, naturelles et vraies. » [22] La définition est bien vague. (Et les chercheurs du CIEREC se rappellent du débat organisé dans les locaux de l’université Jean Monnet, débat au cours duquel les membres du jury eux-mêmes n’étaient pas d’accord sur la définition d’un roman populiste).)

Le palmarès de ce prix est glorieux. Je cite le choix de Cavanna :

Jules romains en 1932

Henry Troyat en 35

Sartre en 40

Guilloux en 42

Lanoux en 48

Falet en 50

Chabrol en 56

Rochefort en 61

Clavel en 62

Stil en 67

Lepidis en 72   Et moi j’ajouterais Gerber en 76, Daeninckx  en 90, Boudjedra en  97,  Picouly en 2001 et Gaudé en 2005. [23]

Beaucoup de ces auteurs  ont été repérés en début de carrière, le souhait de faire découvrir et d’encourager de jeunes auteurs est donc souvent respecté.

Les réactions des auteurs récompensés sont diverses. Certains comme Troyat, Anglade Chabrol (conseillé par Aragon), Fregni ont vu leur carrière effectivement propulsée par ce prix. D’autres, sans le refuser l’ont dénigré allègrement :

Par exemple Eugène Dabit, qui a obtenu le premier prix en1931 pour Hôtel du Nord, a refusé d’être classé parmi les populistes. Toujours cité par Michel Ragon : « Ils veulent que je sois un romancier populiste. Il faut toujours qu’ils vous classent, qu’ils vous mettent sur le dos une étiquette ; ça leur sert peut-être à se tranquilliser. » Mordillat est encore plus négatif : « Le populisme est un hochet de mépris. Jamais je ne serai un écrivain populiste. Jamais je ne me reconnaîtrai dans un populisme qui me fait rendre. Peut-être suis-je un écrivain populaire, mais c’est une autre histoire… »[24]

Même remarque chez le communiste André Stil : « Je ne suis pas populiste. »[25] Et certains s’interrogent même sur son impact négatif sur la vente des livres. Ada : «  Aujourd’hui, je crois que l’adjectif populiste accolé à un prix littéraire nuit sans doute à la diffusion des livres qu’il est censé promouvoir. »[26]

La question fut posée à plusieurs reprises de savoir s’il fallait changer de nom et plus spécialement lors du dernier manifeste en 84. On répondit qu’en changeant de nom, on se couperait du brillant palmarès des années précédentes en même  temps que de l’intention des fondateurs mais la question reste posée d’après Cavanna.

Alors qu’ont de commun ces écrivains qui acceptent avec joie ou au contraire en le dénigrant ce prix ? Si l’on analyse ce palmarès, on trouve des romans noirs : Fregni, Daeninckx,  Zimmerman, des romans historiques : Mezinski, Jules Romains, on trouve des nouvelles Enfantine de M. Rouannet et H.L.M. de Bacoche, on trouve des styles très classiques comme Clavel ou Lanoux et de vraies écritures comme Fallet, Rochefort, Sampierro. Le seul point commun à tous ces textes, c’est le référentiel : les mondes qu’ils décrivent sont les mondes des pauvres, ouvriers, paysans, chômeurs ou des gens dits sans histoires ou encore des déclassés S.D.F., jeunes délinquants, etc. Ces personnages sont décrits dans leurs lieux de vie, H.L.M., maisons, bistrots et sur leur lieu de travail. Les histoires sont en prise avec le réel, les personnages sont incarnés dans leur temps et leur monde.

Sans discuter le bien fondé du prix ou le bien fondé de son nom, ou encore le bien fondé des étiquettes, y-a-t-il place aujourd’hui pour un roman  de bonne facture dont le personnage sont des gens issus du peuple et  dont le style est assez classique ? Le peuple comme sujet littéraire fait-il recette ? Je réponds sans hésiter : «  Oui. » Et j’en veux pour preuve le Goncourt 2005 Le soleil des Scorta, la sélection  livre inter où figurait Les vivants et les morts de Mordillat et la réédition de La femme de Gilles, histoire d’amour tragique chez les ouvriers belges.  A ce propos, j’avais lu sous la plume d’un journaliste l’éternelle question.  Peut- on faire de la bonne littérature avec des ouvriers ? Ma réponse est : on peut faire de la bonne littérature avec tous les sujets à condition d’être un écrivain, et je ne vois toujours  pas pourquoi on exclurait toute une partie de la population du statut de personnage et toute une partie de la réalité sociale de la fiction littéraire. Je crois que le débat est démodé et dépassé, aujourd’hui un écrivain ne se pose pas la question du sujet, il écrit ce qu’il connaît, ce qui le touche, ce qui l’inspire.

Maryse Vuillermet


[1] Site du prix populiste

[2] Le populisme, Alexandre Dorna, p 3.

[3] Le roman populiste, Mercure de France,  p 18.

[4] Michel Niqueux, Le populisme russe vu de France, revue critique, in Dictionnaire de la pensée politique, hommes et idées,  Hatier, 1989,  tome 3, p610  611.

[5] Alain Pessin, p 111.

[6] Ibid, p 51.

[7] Michel Niqueux, Le populisme russe vu de France, revue critique, p107.

[8] L’Œuvre,  27 Août 1929.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Mercure de France,  p 17.

[13] Ibid

[14] Ibid

[15] Ibid

[16] Ibid

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Michel Ragon, Histoire de la littérature prolétarienne, p 168.

[20] Ibid.

[21] Henry Poulaille, Le Nouvel Age littéraire, Editions Valois, 1930.

[22] Joseph Da Costa, Manifeste de 84, site du prix populiste.

[23] Cf. liste des lauréats du prix populiste en annexe

[24] Journal de la fête du livre,  spécial populisme, 1993.

[25] Ibid.

[26] Ibid.