Je suis le rêve des autres, Christian Chavassieux, éditions Mu,2022

Partez en rêve éveillé, partez vers Beniata, marchez, chevauchez des lanquedins   immenses créatures « capables de marcher plusieurs jours et plusieurs nuits sans dormir ni manger » suivez Malou,  l’enfant qui est peut-être un réliant « un de ses frères humains que les esprits désignent pour parler en leur nom, pour recevoir les prières » et son guide mystérieux, le vieux Foladj.

Votre voyage durera des mois, il se fera sur terre et sur l’eau, embarqué sur le Gaïa, le navire de l’ordre des Terriennes qui file sans un bruit.  Chaque jour, le paysage changera, déserts, montagnes, caravansérails, ports, villes aux architectures démesurées et fantastiques.

Votre voyage sera à la fois lent et contemplatif, rapide et tendu vers son but, tourné vers l’extérieur et l’intérieur, d’initiation, et de découvertes. Tous les soirs, le guide demande à l’enfant « qu’as-tu appris aujourd’hui ? » et il répond avec sagacité et il questionne encore et il note.

 

Je ne suis pas une grande lectrice de fictions de fantasy mais de celles de Christian Chavassieux, si, de toutes, Les Nefs de Pangée, Mausolées, parce que le texte est poétique, l’écriture fluide et généreuse, l’univers exotique, les personnages sages et philosophes, leurs relations tendres. Les thèmes de l’amour filial, de la nostalgie, du remords,  de doute, de l’erreur, de la violence sont tous  profondément humains.

 

L’affaire des vivants

l'affaire des vivants image L’affaire des vivants,  Christian Chavassieux , Phebus, 2014

Ce roman est l’histoire de Charlemagne, aîné d’une famille de paysans pouilleux, destiné par son grand-père à devenir grand. Muni de cette injonction,  il le devient, à coups de pojngs et coups de génie,  dans cette fin de XIX° siècle,  aux environs de Lyon.

Ce roman est un western, les bagarres entre paysans, la conquête de nouveaux territoires pour les usines, la création de héros hors norme Charlemagne, qui frappe, commande, impose sa loi, qui est saisi, partant  à  la guerre de 70.

C’est un roman historique mais pas une Histoire savante ou didactique,  une histoire gourmande et sensuelle, qui se délecte de nous faire  voir,  toucher, sentir les tissus de  la boutique des Feigne, les robes et les coiffures des femmes, les décorations des fusils des hommes, leur gibier, leurs chevaux. Nous suivons les foules des grévistes,  la venue de Louise Michel et le tournage du film d’Abel Gance  sur la Côte d’Azur avec  de vrais poilus comme figurants.

C’est un roman social, qui retrace l’immigration intérieure continue des paysans vers les villes, qui  nous fait pénétrer dans les usines de toile cirée, les filatures,  l’appartement d’un jeune couple d’ouvriers  comme  la ferme des parents, et le faux château.  Nous suivons, des destinées,  entièrement liées aux trajectoires sociales,  celle de Charlemagne à qui tout semble réussir, beau mariage, belles entreprises, argent et celle de son petit frère battu à mort,  estropié, ouvrier puis veuf .

Mais le destin est trompeur et c’est une autre caractéristique du roman, les êtres y sont opaques.  « L’opacité de Charlemagne. Les êtres ne se livrent pas entièrement, bien entendu, nous sommes tous des mystères pour les autres, mais certains, comme le grand, ont cette nature qui décourage l’affection, et l’amitié et repousse l’envie de savoir. Des monolithes impénétrables. »  Qui  aura le dernier mot,  quels morts demanderont des comptes aux vivants ? Louis, devenu régisseur, Amédée,  le fils de Charlemagne,  homosexuel,  Alma, l’épouse soumise, Jeanne, la jolie ouvrière qui lit, ou encore Rosine,  la prostituée noire que Charlemagne a aimée  au bordel de Mérives et qu’il n’a pas réussi à sauver ?

En attendant, il faut vivre car  «  La vie est l’affaire des vivants. »

Ce roman en donne envie.