Pas d’équerre, Judith Wiart, Editions Louise Bottu, 2023

« Pas d’équerre », une expression de maçon comme titre pour  un livre inclassable, carnet de bord, témoignage, poèmes, déclaration d’amour aux élèves, collages de circulaires et  d’extraits de manuel, extraits d’atelier d’écriture, scénettes enlevées,  drôles, tranches de vie,  constat d’échec dans un LEP,  avec des élèves en CAP de maçonnerie qui n’ont pas choisi, qui sont là, par hasard, qui attendent… fatigués si fatigués « leur fatigue me mine, leur corps avachis sur la table qui n’est plus une table de travail. »   Des élèves dans « des salles aux radiateurs béants, aux trous dans le plafond »

 Manque de profs, manque de moyens pour rénover mais de l’argent pour installer les portiques de sécurité et distiller la peur.

 Au milieu de ce désastre, l’enseignante tient la barre parce qu’elle s’intéresse à ses élèves, à chacun d’eux, elle aime les faire écrire, faire jaillir leurs mots, comme des talismans contre le malheur.

Et elle aime écrire sur eux, grâce à eux, sur leur monde « pas d’équerre », mais riche d’humanité. 

Les événements, la suite, Isabel Ascencio, Le Rouergue, 2022

Enquête intimiste et poignante dans l’histoire familiale et l’Histoire, en particulier les séquelles de la guerre d’Algérie et du rapatriement des pieds noirs, et  dans une langue flamboyante.

Le récit est un puzzle tricoté avec maestria où les événements se mettent en place puis s’éclairent peu à peu autour de la figure d’un père mélancolique et dévoré de l’intérieur par la nostalgie du pays. Le Pays, c’est l’Algérie, pays commun aux Pieds-noirs, aux immigrés du village, la famille Taieb et ses dix enfants, même aux soldats de la guerre qui, tout en le martyrisant, en ont aperçu la beauté .

 

Nous serons des héros, Brigitte Giraud, Stock 2015

Nous  serons des héros

Brigitte Giraud

Stock 2015

C’est un récit à la première personne du singulier.  Olivier ou Olivio raconte son départ du Portugal, le deuil de son père ( il n’a su que longtemps après qu’il avait été torturé et assassiné dans les prisons du dictateur Salazar),  le voyage en train si triste,  l’arrivée à Villeurbanne dans le HLM de l’oncle puis l‘école, le travail de sa mère,  sa rencontre avec un  Pied noir Max.

Sa mère et Max se retrouvent autour de leur nostalgie commune d’un pays de  soleil,  du blanc des villages mais  ces racines communes ne seront pas suffisantes à la révolution des œillets.  Max sera jaloux et vexé que les Pieds Noirs n’aient pas été capables d’une révolution pacifique.

Tout change à cette révolution, la mère se redresse,  retrouve dignité et fierté. Olivio,  cet été-là, part au Portugal mais le retour est très difficile, sa famille sa langue, le pays lui sont devenus étrangers.  « Les lieux résistaient, ne livraient rien du passé. Il n’y avait pas de place pour mon père dans le Portugal d’aujourd’hui.  »

A Lyon, c’est avec  son chat Oceano, rescapé d’une tempête au Portugal qu’il trouve affection et complicité, et avec Ahmed, son ami   algérien qu’il est bien, ils ne se parlent pas, chahutent, Ahmed le domine mais  cette amitié, la seule,  lui fait du bien. Les autres Max, le frère d’Ahmed  y sont très hostiles.

Brigitte Giraud arrive à teinter tout le texte d’une nostalgie terrible, puissante et en même temps  à décrire la volonté et le courage de ces hommes et ces femmes de vivre, d’aller pique-niquer, camper au bord de la mer, toute une époque nous est restituée, avec ses espoirs  bien compréhensibles de confort et de sécurité. Elle décrit aussi  à petites touches fines, la perte d’un père, le besoin de se faire aimer du beau-père,  la fausse famille formée par Max et son fils  Bruno, et lui et sa mère,  la douleur du père divorcé, le dimanche soir, elle sait créer l’émotion et laisser poisser les non-dits et les malentendus.

Le narrateur s’initie à l’escalade, il ferait n’importe quoi pour obtenir un regard admiratif de son beau-père ou de ses amis, en vain. Mais en hauteur, le danger est là !