Les amis, les parents, la famille des écrivains devraient se méfier. Ils devraient se demander et ils y pensent le plus souvent sans vraiment se le formuler :
Qu’est-ce qu’il va encore prendre de moi ? De quelle expression, de quelle particularité physique, mon nez, mes jambes, mes habits, ma façon de boire le café va-t-il se souvenir ? Je le vois, il est ailleurs, il m’observe, il note, mentalement, il écrit, il va utiliser ce geste, cette parole, ce lieu et il va transformer, remanier l’histoire que je lui raconte ? Va-t-il nommer ma rue, ma ville, décrire ma maison ? Va-t-il cannibaliser mon enfance, mon adolescence, l’amour secret que je garde au fond de moi et que, par hasard, lui seul connait parce que j’ai eu la bêtise de lui confier mon secret, et pourquoi, c’est toujours à lui, à elle qu’on confie ce qu’on ne confie à personne d’autre ? Quand on est avec lui, avec elle, quelque chose nous pousse, on a envie de dire, de raconter mais n’est-ce pas parce que l’on sait que ça va ressortir, resservir ? Mais n’est-ce pas aussi, allez, avouez, parce qu’on sait que l’écrivain, va nous faire jaillir de de l’anonymat, même sous un pseudo, même intégré à son histoire, même totalement méconnaissable, il va nous offrir ce petit reflet d’éternité contenu dans un livre, il va faire échapper une toute petite parcelle, une toute petite étincelle de nous à la mort !
Est-ce pour ça que quand ils nous rencontrent, nous les écrivains, ils disent toujours :
–– Tiens, toi qui écris, tu pourrais l’écrire ça et encore on te croirait pas !
–– Tu la connais celle-là ?
–– Tu pourrais mettre ça dans un livre, c’est incroyable, la réalité dépasse toujours la fiction hein ?
Ou plus mignon
––Tu me mettras dans ton prochain livre ?