« Les mots couvent sous la cendre, même si on a perdu la trace, même si on ne sait pas si on est au bon endroit, il y a le mystère de la renaissance et de l’espérance, la désinvolture sacrée de ceux qui aiment au-delà des douleurs. » Patrick Laupin
Il y a des traces dans la neige, elles tournent autour de la maison arcboutée sous le poids.
Y a quelqu’un ?
La neige est si haute qu’elle touche le toit, s’accroche aux glaçons des gouttières, et bouchent les fenêtres. Deux sentiers sont tracés entre des murs aux reflets ternes, l’un du chemin à la porte d’entrée, l’autre, de la porte à la citerne-puits. Une fumée tremblotante se hisse vers un ciel d’acier, rabattue par moments par les rafales de la bise.
Dedans, il pourrait y avoir deux petits vieux silencieux, lui entretiendrait le fourneau. Ses hautes piles de foyard bien sec coupé en bonne lune et fendu de l’été, s’élèveraient bien droites sous l’avancée du toit, protégées par les contreforts de la maison. Au pied des piles de bois, il y aurait encore un tout petit espace, une gamelle pour le chien, un bol de lait pour le chat. Le tic-tac de l’horloge, elle s’occupe de la soupe et de casser les œufs de l’omelette, au fond de la pièce, à certaines heures, le ronron de la télévision et ses jeux, bien instructifs !
Il pourrait y avoir une petite vieille toute seule, veuve depuis longtemps, le dos cassé et les mains gercées mais bien habituées aux hivers. Elle aussi a ses piles, ce qu’il faut, coupé et rentré par ses fils dans la grangette, elle n’a pas à sortir.
Non, rien de tout cela !
Y a quelqu’un ?
Oui, il y a deux jeunes en pantalons de velours et gilet de mouton brodé, tous les deux, de grands cheveux !
Ils sont arrivés à l’automne, ils ont dit « qu’ils voulaient vivre ici. » mais pour faire quoi, ça, ils savaient pas trop. Lui, il a demandé du travail un peu partout, et le grand Gonin lui a dit qu’il le prendrait au printemps, mais pas avant !
Elle, elle a dit qu’elle voulait être potière, on n’en a jamais eu par ici !
Bref, ils sont là, mais ils n’ont pas fait leur bois, puisqu‘ils sont arrivés à la fin de l‘été, plus le temps, trop tard et sûrement pas l’argent pour en acheter ou pas osé venir nous en demander !
On les voit, ils viennent à l’épicerie acheter des pâtes et du riz, ils doivent le cuire au gaz, mais de là à chauffer une maison !
Alors j’ai pensé un truc, moi, du bois, j’en ai plus qu’il m’en faut ! J’ai deux ans d’avance, presque, vu que je chauffe que la salle !
Alors, j’irais bien leur en porter mais comment ? Je me suis dit qu’avec ton gros tracteur, tu pourrais m’aider.
— t’aider à quoi ?
— bais à leur porter ! Et tu vois, on charge une corde de chez moi, mais d’autres pourraient faire pareil, le Denis ou le Fred, ou toi et ça leur ferait assez pour passer l’hiver, tu mettrais tout ça sur ta charrette, et aevc ton gros tracteur, ça passera !
— Mais j’ai jamais livré du bois en hiver et dans la neige, ça se fait pas !
— et bais, tu commenceras ! Tu vois pas qu’il y a du nouveau dans la montagne ! Puisqu’il y a des jeunes qui sont venus pour vivre ici, ils ont dit, c’est pas nouveau ça ? Alors faut qu’on se montre à la hauteur ! On va leur montrer qu’on est malins, qu’on a compris, mais faut pas leur faire honte, faut pas les vexer, faut être fins, j’ai pensé leur dire qu’on en avait trop, qu’on leur apportait le surplus, que c’était une habitude, et eux aussi, ils sont malins, ils comprendront et ils diront pas non !
Et on leur expliquera que l’été prochain, il faudra qu’ils s’y prennent autrement, ils le comprendront ! Tu vois, ce serait dommage que le froid les fasse partir, avant d’avoir commencé à vivre ici ! Eh bais qu’est-ce que t’en dis de mon idée ?
Te voilà bien muet tout d’un coup !
— J’en dis qu’elle est bonne !