Je pars en Austalie, je lis Le chemin des pistes de Bruce Chatwin.
Avec lui, j’apprends que les aborigènes ont depuis la nuit des temps dessiné et chanté leur pays, leurs itinéraires à travers le désert, ils ont ainsi dans la tête d’innombrables représentations artistiques, chantées ou dessinées des chemins et pistes à emprunter; c’est à la fois une carte ou plutôt un topo guide avec l’emplacement des sources, des arbres à fruits, des grottes, c’est aussi un livre de chants comme un livre de poèmes appris par les enfants, c’est un répertoire de chansons pour les soirées entre amis, et c’est une représentation graphique en couleurs, mnémotechnique de tous les itinéraires pour rejoindre des tribus amies, le tout dans sa mémoire.
Moi, il me manque l’itinéraire de mon arrière grand-oncle perdu en Australie à la fin du siècle dernier.
Je vais bientôt en Nouvelle-Zélande, je lis La Garden Party de Katherine Mansfield; des nouvelles-instant suspendues dans un temps assez opaque, un moment, où ces personnages aux vies ratées mais acceptées ont cru que queqlue chose allait changer, une étincelle s’est allumée, une lumière a scintillé et puis s’est éteinte et la vie continue, tragique. Et dans chaque nouvelle, il y a la chair de sa vie, son amie Ida dans Les filles du colonel, sa jeunesse dorée dans La Garden Party, et la baie, son amour des fleurs et de ses sœurs de la mer et des plages dans presque toutes.
Pietro Cittati dans sa biographie Brève vie de Katherine Mansfield crée une œuvre sur une œuvre, il éclaire sa vie brûlante et contradictoire, ses zones de cruauté et de haine, il les explique. On est autant frappés par le côté morbide et tragique de sa vie que par ses écrits, la destinée romanesque de la personne a pris le pas sur son œuvre, mais les deux sont indissociables, si elle n’avait pas écrit, on ne connaîtrait pas ses hôtels, ses villas, sa maladie.
J’ai conscience de toujours voir un pays, une ville à travers le prisme de la littérature ou d’un regard. En Austalie, je vois avec les yeux de Bruce Chatwin et de mon ancêtre, en Nouvelle Zélande, je verrai la lumière de La Garden Party, de la biographie de Cittati et du journal de Charles Juliet Au pays du long nuage blanc.
Gabrielle Macé avait parlé l’autre jour à la Bibliothèque de ?La part-Dieu à Lyon du feuilleté de la littérature. Par exemple, je lis Proust qui lit La Fontaine ou Molière, et à travers toutes ces représentations, ces feuilletés de réalité, j’appréhende une réalité plus riche, infiniment complexe et chatoyante