Nicolas Mathieu
Leurs enfants après eux
Actes Sud
Quatre jeunes, Anthony, son cousin, Hacine et Steph, une vallée de l’est, des hauts fourneaux éteints, un lac à l’eau sale et un après-midi de canicule. Eté 92, Anthony et son cousin volent un canoë pour aller mater les filles nues, Anthony voit Steph et elle lui brûle les yeux, leur destin s’enclenche.
Le même jour, dans une soirée de riches, Hocine vient faire son caïd, se fait virer et vole la moto du père d’Anthony.
Ensuite, il y aura trois autres étés, 94, 96 et 98, le dernier celui de la coupe du monde. De foot. Et nous y retrouverons ces jeunes à un moment de leur trajectoire, le cousin amoureux, Hacine en train de s’enrichir puis de se faire plumer au Maroc, Anthony, au lycée, puis au chômage puis engagé, les destins se croisent et se recroisent, les pères ont travaillé dans les mêmes usines . C’est le roman d’une vallée qui a perdu ses usines, ses syndicats, où ceux qui peuvent vont travailler au Luxembourg, d’une époque où le chômage monte en flèche, où les petits boulots font leur apparition, caristes dans les entrepôts, remplisseurs de machine à boissons, serveurs, l’époque de l’adolescence.
C’est surtout le roman d’un peuple perdu, celui des petites villes, des pavillons à crédit, des fêtes du 14 juillet, des coupes du monde de foot, des samedis dans les galeries commerciales et au bistrot. La France du Picon, des bières, de Johny Halliday, des femmes et des hommes qui crament leur jeunesse à coup de joints, d’alcool, de soirées jeux video et de courses en moto parce qu’ils savent inconsciemment que très vite, ce sera fini.
Ils seront usés, désillusionnés, assommés comme leurs parents. Ils rêvent tous de partir mais seuls les bourgeois avec l’argent de leurs parents qui paiera les écoles de commerce y arriveront.
Le style est remarquable, de roman noir, il frappe, énumère les malheurs, donne des coups de poing à la langue. Les dialogues sont au plus juste et les personnages de père, celui d’Anthony, Franck, le costaud qui finira par se noyer dans le lac , le père d’Hacine Bouali qui s’accroche à sa dignité, la mère d’Anthony, qui tente de rester la belle fille qu’elle a été, tous sont remarquablement humains, dans leur tentative d’aimer leurs enfants et dans leur résignation à les voir devenir comme eux.
L’ampleur des sujets politiques, historiques, économiques, le nombre de personnages et d’histoires, la violence de certaines scènes, l’érotisme brûlant de certaines autres en font un roman social ambitieux le plus juste, le plus beau que j’aie lu depuis Daeninckx ou Manchette.