Une émission de radio autour de 50 bonheurs à portée de main édité chez Chroniques sociales

https://rcf.fr/emission/listing-diffusion/2435433

A la maison de la poésie Transjurassienne, j’ai répondu aux questions de Marion Ciréfice et un groupe de lecteurs de Saute-Frontière a lu des extraits de 50 Bonheurs à portée de main.

L’émission a été diffusée le dimanche 23 sur RCF Jura et est écoutable ci-dessus ou ci-dessous en cliquant sur ces liens.

 

 

 

L’email a bien été copié

 

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Une émission de radio DTO sur radio Canut consacrée à mon travail d’écrivaine

 

DTO – Dans Tes Oreilles est à Radio Canut, avec Marion Feugère et Maryse Vuillermet

Invitée : Maryse Vuillermet, http://www.maryse-vuillermet.fr autrice, enseignante.

Animatrices et lectrices : Maïté Cussey, Margot Espinasse-Gambarotto, Marion Feugère.
Textes : Je Suis De Ceux-là / Les Pendulaires / Passer La Barre / Naven Ou Le Donner À Voir.
Musiques : Cesaria Evora – Sodade / Lhasa De Sela – El Desierto / Melanie – Look What They’ve Done To My Song, Ma / Luz Casal – Pinesa En Mi / Catherine Ringé – Les Bohémiens.

Les victorieuse,Laetitia Colombani

 

J‘ai bien aimé. Une avocate de 40 ans qui a tout sacrifié à sa carrière( amours, amis, désir d’enfant) craque à la suite du suicide d’un de ses clients et entre dans une grave dépression. Son psy lui conseille le bénévolat. Peu enthousiaste, elle finit par aller au Palais de le Femme, un foyer de réinsertion pour femmes seules géré par l’Armée du salut. Et là, en tant qu’écrivain public, elle les aide des femmes fracassées à rédiger des lettres et des courriers administratifs. Mais le chemin est long pour se faire accepter, pour les comprendre et même pour leur être utile. Et si c’était elles qui allaient l’aider à sourire, danser et être elle-même. De beaux portraits, des récits vie, l’Histoire des fondateurs du lieu, et des récits de moments de lumière très forts se mêlent dans un roman vivant.

Le pays des autres, Leila Slimani, Gallimard 2020

 

Le pays des autres, Leila Slimani

Je ne sais pas si c’est parce qu’une amie m’a passé le livre par-dessus sa barrière de jardin dans un sac bien fermé qu’il a eu tout de suite un pouvoir assez hypnotique sur moi. Ou si c’est parce que Leila Slimani a été tellement attaquée pour son article malheureux sur le confinement qu’on a presqu’envie de la défendre de ce lynchage médiatique.

Certes, Leila Slimani se lance dans une saga familiale, un genre plus classique plus sage et surtout plus commercial que celui de ses romans précédents plus vénéneux, plus étranges. Mais en fait, sous la fluidité somptueuse de l’écriture se tient, tapie, malade, prête à flamber à tout moment, une fascinante violence des actes, des sentiments et des hommes.

C’est un livre de raconteuse d’histoires avec des personnages forts, comme le père Amine, écartelé entre sa culture musulmane, la pression familiale et sociale et l’amour de sa femme, Mourad, le contremaitre homosexuel refoulé et l’ancien aide de camp, amoureux de son chef, militaire obsessionnel, la mère Mathilde qui se bat et parfois est près de renoncer de s’enfuir, aucun personnage n’est simple.

L’auteure nous immerge aussi en profondeur dans le Maroc, les casbahs, les rues, les odeurs, les maisons noires de fumée, les collines arides, la poussière et la chaleur

La problématique est celle de la place ce qui ne peut que toucher les transfuges de classe que nous sommes pour beaucoup d’entre nous.  Au début du roman, le père tente une greffe sur ses arbres fruitiers, la greffe ne prend pas, le fruit est immangeable et cet échec est un peu la métaphore nourricière de ce récit, de métissage, métissage fécond mais douloureux et parfois impossible. La place des femmes dans le couple, la société, le pays, la place des Marocains dans leur pays vis-à-vis des colons, et de la France pour laquelle ils se sont battus, qu’ils aiment et détestent à la fois, et qui les a quand même, à leur corps défendant, changés.

 

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Noir Canicule, Christian Chavassieux, Phebus, 2020

 

Noir Canicule de Christian Chavassieux publié en mars 2020 chez Phebus est un roman où l’on retrouve avec plaisir l’écriture sensuelle et sensible de L’Affaire des vivants. C’est l’histoire d’un couple de vieux paysans de la montagne roannaise qui part dans le Sud à bord du taxi de Lily, un très long voyage en pleine canicule de 2003 pour une mystérieuse destination.

Tout au long de cet aller-retour dans la voiture heureusement climatisée, la narration nous place tour à tour dans la conscience des différents passagers et puis, peu à peu, dans celle de leurs proches, l’ex-mari de Lily, ses deux filles, Rose, la petite trop intelligente et Jessica, l’ado mystérieuse, Bernard le fils du vieux couple qui a poursuivi sans passion, l’œuvre de ses parents, la ferme et le travail acharné de la terre.  Chacun a ses secrets, « ses liaisons dangereuses », Jessica avec un ado riche et vénéneux, Bernard avec une femme mariée qui l’utilise comme amant, Lily avec son ex-mari avec qui elle pratiquait les jeux érotiques dangereux, et avec sa mystérieuse cargaison.

Les personnages se croisent au cours de la journée, s’appellent, ils croisent aussi la mort ou son ombre ou son appel, et la violence, ou le Mal selon une certaine terminologie, en tout cas, le noir. Le voyage se déroule dans l’enfer de la canicule où, comme aujourd’hui, les vieux meurent par milliers avant qu’on ne découvre l’ampleur de la catastrophe.

Dire que l’atmosphère est étouffante est donc une évidence dans le taxi, dans l’appartement du guérisseur, dans la maison de Lily qui attend son homme, dans la tête de Bernard qui rêve à une certaine poutre de grange.

Ce roman pourrait donc paraitre horriblement crépusculaire, un récit d’agonie, celle de Pierre, le beau-père de Lily, de regrets aussi (a-t-on fait tout ce qu’on pouvait pour sauver les vivants, le petit Jacques, l’enfant du vieux couple mort il y a longtemps et qu’ils n’arrivent  pas à oublier) mais pour moi, c’est surtout un roman de lutte, lutte pour arriver à la fin du long voyage, lutte pour continuer à vivre.

Je dirais aussi que c’est un roman étrange car c’est un noir littéraire, d’habitude, dans le roman noir, on un style oral, plus voyou, plus dense, plus bref, là, Christian conserve sa plume élégante, travaillée avec gourmandise, sinueuse, et ses méditations subtiles, serait-il en train d’inventer un nouveau genre ?

L’âge de la première passe, Arno Bertina, Editions Verticales, 2020

Arno Bertina, L’âge de la première passe, Verticales, mars 2020

Comme je veux écrire des récits de vie, depuis quelques temps, je vais dans un centre de réinsertion de l’association Notre Dame des sans-abris à Lyon et que je recueille, avec bien des difficultés et des hésitations,  des récits de vie de ces hommes fracassés mais debout, souriant, à l’air tranquille, malgré toutes les tempêtes et les horreurs qu’ils ont traversées et qu’il traverse encore,  dans les bâtiments majestueux d’un  ancien couvent de franciscaines, je m’interroge sur le rôle du scribe, de l’écoutant, sur sa légitimité, sur sa place, sur sa perversité de voyeur, bref et j’entends parler du  récit d’Arno Bertina, vite, dès la fin du confinement, je l’achète.

Lui, il est sur un terrain encore bien plus dangereux, plus impliquant, il est allé plusieurs fois au Congo invité par l’association ASI, Actions de solidarité internationale « une ONG modeste. Créée en 1985, ASI a peu de moyens et doit parer au plus pressé en ciblant des personnes les plus vulnérables (entre les femmes et les hommes, ce sont les femmes ; parmi elles, ce sont le plus jeunes et s’il y a des mineures, ce sont celles qui sont déjà mamans). ASI vient au secours des « filles vulnérables »   que les infirmières approchent dans les lieux de prostitution.  Elles leur proposent de fréquenter un foyer, dans le quartier de Tié-Tié où elles peuvent suivre des cours d’alphabétisation et des focus sur les questions de santé les concernant, ou leurs enfants qui ont moins de 5 ans, ces derniers sont pris en charge par une puéricultrice, ce qui permet aux bénéficiaires de souffler un peu dans la journée. Le déjeuner est offert aux mères comme aux enfants, ce qui leur assure au moins un repas par jour pendant la semaine, ainsi que des soins. ( …)  L’ambition était celle-ci : animer un atelier d’écriture qui donnerait à ces mineurs l’occasion de parler d’elles. Car l’écriture peut écarter la honte, à moi de les aider à rejoindre leur histoire malgré la violence incrustée comme un destin auquel, à 13, 14 ans, elles commencent à croire dur comme fer. Ce serait une marque d’infamie. A 13, 14 ans, elles commencent à désespérer, et c’est poignant. Mon rôle, les aider à éclater, par l’écriture, ces concrétions qui phagocytent et paralysent l’image qu’elles ont d’elles-mêmes.»[1]

Il précise encore « écrire pour desserrer les mâchoires de certains mots, « abandon » fait pleurer, « putain » donne envie de disparaitre). Et en débusquer d’autres, au fil des brouillons, véhicules d’un regard tout neuf sur leur histoire et leur personne, ou même leur corps.

 

Tendre l’oreille, observer. Essayer de tout comprendre (…)

Tendre l’oreille, essayer de tout noter, de voir -essayer- car je sais que je manquerai beaucoup de signes ou que j’interprèterai de manière biaisée ceux qui m’alertent. »[2]

Donc, il raconte ces différents séjours à Pointe Noire au Congo dans ce foyer, dans la ville aussi où il accompagne la tournée des infirmières qui vont à la rencontre des filles sur leurs lieux de prostitution. Il raconte et il fait parler, il insère alors leurs récits de vie dans ses descriptions, des quartiers, des rencontres, dans les récits de ses voyages précédents, dans ses réflexions sur lui-même, ses complexes, sa tristesse morbide, son incapacité à garder un amour, ses interrogations constantes sur la misère en Inde, ou en France, sur les prisons.

Il s’interroge sur sa place dans cet endroit : « Quelle est ma place dans ce bordel ? Dans la désolation des terrasses ou l’agitation des rues, dans l’obscurité des cours intérieures et des chambres de passe… ? Dans la cour du foyer des filles vaillantes… apparemment, je suis invisible.» [3]

Sur la légitimité de la parole, il cite Jeanne Favret-Saada, « Il n’y a pas de position neutre de la parole. » Il s’interroge encore sur la misère, il cite Victor Hugo : «  A un certain degré de détresse, le pauvre, dans sa stupeur, ne gémit plus du mal et ne remercie plus du bien. » Et la question lancinante est celle de ces filles, de leur vie de prostituée, de mère et d’adolescente. Et les mystères, comment font-elles pour tenir debout, comment font-elles pour être gaies, pour ne pas devenir folles pour rester normales.

C’est un récit faits de fragments de vie d’un écrivain au Congo, qui se sert de tout le poids de son expérience d’homme et d’écrivain, pour être légitime, qui se met à nu comme le font les jeunes filles, et qui sait aussi ne pas rater   des moments de joie pure, par exemple lors d’un voyage en car , elles redeviennent des gamines, les chants, la joie des filles, c’est plus un voyage scolaire qu’ un voyage de prostituées.

Ses moments de profonds désarrois, quand il croise une fille horriblement blessée, quand une autre avoue être sorcière, quand toutes racontent les viols, les insectes, les abandons, leur quotidien de coups et de mensonges.   Il raconte aussi leurs silences, leurs dérobades, leur folie.

Je crois que le passage le plus poignant, c’est le miroir qu’elles lui tendent, quand il  raconte qu’aucune n’a renoncé à trouver l’amour « Elles cherchent désespérément l’amour, à corps perdu. (…) Si les filles cherchent l’amour, comment ne pas comprendre qu’elles préfèrent la rue et les bars au Foyer des filles vaillantes ? Les éducateurs et infirmières ne promettent pas l’amour d’une mère et encore moins celui d’un prince charmant. Mais une estime de soi qu’elles apprennent à respecter. Pourtant comment rivaliser avec le premier beau gosse qui lui parlera d’amour ? Quand on a 16 ans et pendant longtemps- j’ai 44 ans et n’en suis pas sorti- l’élan vital ne se négocie pas. On préfère une blessure ouverte à tous les accommodements, à tous les rafistolages. ²

Ce récit nous plonge au cœur de la forge de la création, « au cœur des ténèbres » pour paraphraser un titre célèbre. L’auteur cite encore Faulkner « Ecrire c’est comme craquer une allumette au milieu de la nuit, en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mesurer l’épaisseur de l’ombre. [4]Ce qui n’empêche que plusieurs chapitres de la fin du récit commencent par « Le mystère n’est pas toujours l’obscurité, le mystère, ça peut être la lumière. »[5]

Je vous laisse le lire, c’est une expérience no limits  dans la noirceur terrifiante du monde et  dans la fragilité tout aussi terrifiante et palpitante du moi.

 

[1] P 26

 

[2] P 19

[3] P 170

[4] P 121

[5] P 194, p 230, p 247

L’email a bien été copié

 

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Les choses humaines, Karine Tuil, Gallimard, 2019

Les choses humaines, Karine Tuil, Gallimard 2019

Les Farel Jean et Claire  forment un couple en apparence enviable. Lui, homme de télévision, homme de pouvoir, autodidacte et sel made man, elle essayistes, féministe. Ils ont un garçon plus jeune qui jusque là comme on dit a donné toute satisfaction, brillant élève, sportif il va bientôt entrer dans une prestigieuse université californienne et parachever ainsi   son parcours sans faute. Mais tout est faux de cette façade, ils donnent encore illusion lors de la remise de la légion d’honneur au père mais à ce moment là,  Claire vit avec son amant, un professeur juif, et Jean  mène  depuis toujours une double vie avec une collègue journaliste.

Le soir de la remise du prix, le fils rentre au domicile de sa mère où se trouve une jeune fille, fille de  cet amant. Les deux adultes insistent pour que les jeunes sortent ensemble à une soirée étudiante et là tout s’écroule. Le soir même,  la jeune fille l’accuse de viol lui dit que c’était une relation consentie.

On est dans la zone grise, la zone du déni ou du mensonge.

Et pour tous et surtout pour  les deux jeunes, c’est une descente aux enfers. Au-delà des faits,  d’un style luxuriant et limpide, c’est l’analyse  qui est intéressante :

Celle de la construction sociale parfaitement huilée  qui se brise net, celle de l’incompréhension infranchissable entre les différences classes sociales, celle  de la mécanique impitoyable de la justice.

C’est aussi une profonde réflexion sur la condition féminine, les femmes âgées, malades, les jeunes …

Sur la violence de la société qui valorise la performance,  celle des réseaux sociaux qui valorisent le narcissisme. Et derrière tout cela, la fragilité des êtres, leur solitude,  chacun à tout moment peut basculer.

C’est un roman d’une très grande profondeur dont on sort abasourdi tant par la justesse que par le brio de la démonstration. Et à la fin, tout le monde a perdu.

Les choses humaines, Karine Tuil, Gallimard 2019

Les Farel Jean et Claire  forment un couple en apparence enviable. Lui, homme de télévision, homme de pouvoir, autodidacte et sel made man, elle essayistes, féministe. Ils ont un garçon plus jeune qui jusque là comme on dit a donné toute satisfaction, brillant élève, sportif il va bientôt entrer dans une prestigieuse université californienne et parachever ainsi   son parcours sans faute. Mais tout est faux de cette façade, ils donnent encore illusion lors de la remise de la légion d’honneur au père mais à ce moment là,  Claire vit avec son amant, un professeur juif, et Jean  mène  depuis toujours une double vie avec une collègue journaliste.

Le soir de la remise du prix, le fils rentre au domicile de sa mère où se trouve une jeune fille, fille de  cet amant. Les deux adultes insistent pour que les jeunes sortent ensemble à une soirée étudiante et là tout s’écroule. Le soir même,  la jeune fille l’accuse de viol lui dit que c’était une relation consentie.

On est dans la zone grise, la zone du déni ou du mensonge.

Et pour tous et surtout pour  les deux jeunes, c’est une descente aux enfers. Au-delà des faits,  d’un style luxuriant et limpide, c’est l’analyse  qui est intéressante :

Celle de la construction sociale parfaitement huilée  qui se brise net, celle de l’incompréhension infranchissable entre les différences classes sociales, celle  de la mécanique impitoyable de la justice.

C’est aussi une profonde réflexion sur la condition féminine, les femmes âgées, malades, les jeunes …

Sur la violence de la société qui valorise la performance,  celle des réseaux sociaux qui valorisent le narcissisme. Et derrière tout cela, la fragilité des êtres, leur solitude,  chacun à tout moment peut basculer.

C’est un roman d’une très grande profondeur dont on sort abasourdi tant par la justesse que par le brio de la démonstration. Et à la fin, tout le monde a perdu.