Le fil à plomb

fil_a_plomb_1_cOn a tous des sources artésiennes, des fils à plomb, un endroit où la fréquence se refait. Un fil à plomb, c’est ce qui tient droit, ce qui fera le mur droit sans menaces d’écroulement.

La parole secourable,  c’est celle de mon père, non pas ses vieux proverbes qu’il ressortait tout usés comme des vieilles pantoufles qui sentent un peu les pieds, après l’hiver vient toujours le printemps, les chiens ne font pas des chats, il faut pas avoir froid aux yeux, ce n’est pas ses paroles, c’est ce qu’il y avait dessous, ses paroles comme pare-feu, comme paravent contre l’émotion, contre la peine et le chagrin, comme message d’alerte.

Bourru et bougon sous la casquette, il voyait exactement ce qu’il fallait voir et on avait confiance dans sa vista, son coup d’œil.

Un jour, une amie lui a montré un bonzaï. Fière, elle expliquait comme il était vieux et cher et venait de loin, et nécessitait des soins constants. Il a juste dit, vingt dieux, comme il a souffert, c’est pas possible de faire souffrir un arbre comme ça ! Ce n’était pas la phrase, c’était ce qu’il avait vu, les tailles, le sécateur qui atrophiait progressivement la pousse, les liens qui entrent dans la chair, l’arbre qui se rabougrit, se recroqueville, se déploie,   malade, un peu comme un nain, un gnome effrayant. Les snobs japonisants et esthètes  ne pensent pas à tout ça.

Il disait aussi un homme qui se suicide, c’est qu’il est malade, si on avait su le soigner, il se serait pas suicidé.  Y a pas plus grande souffrance que la dépression nerveuse, ce n’était pas la phrase qui était secourable,  c’est que toujours il allait droit au  centre, un enfant triste, une plante qui a soif, un chien malade à abattre d’un coup de fusil de chasse, il y allait, il tirait droit à l’œil, à l’os. Mon fil à plomb, c’est ça,  la direction, le regard, l’attention à ce qui a mal, à ce qui menace. Si j’ai faim, je suis capable de manger de la vache enragée, les chiens ne font pas des chats, regarder dans le blanc des yeux, tous les hommes sont égaux.

Oui papa, parle, tes paroles d’évidence, tes refrains, je les connais,  ces litanies consolatrices, je  ne les entends  plus ou comme une vielle berceuse, aux paroles enfantines, mais ce que tu nous as appris, c’est à regarder, à déceler la pierre qui se détache, et qui va faire tomber le murger, la fissure dans la poutre,  la terre qui se fendille, le sourire qui se force, la main qui tremble, l’angoisse qui affleure, qui hurle en silence derrière le rire et qui tue brutalement.

Le bonzaï meurt très lentement,  le mur tombe d’un coup, le suicidé saute le pont,  toi tu sentais ces choses-là, tu les voyais même si tu ne savais pas les dire, ou s’il fallait  les comprendre sous les vieilles paroles.

Le guide du démocrate ÉRIC ARLIX ET JEAN-CHARLES MASSERA MISE EN SCÈNE : SIMON DELÉTANG

Courez voir cette pièce!

guide Au Théâtre des ateliers à Lyon,  du 14 novembre au 6 décembre, c’est drôle, c’est décapant . Tout notre discours économique, idéologique, bien pensant, d’un capitalisme heureux et repu est démonté, dissous et dessous, le vide est vertigineux. La phrase qui résume notre situation est:  » Tout seul dans ma maison  individuelle en train de manger une pizza avec mes 300 chaînes »

Les fausses relations internet, les faux plaisirs du shopping et de la baise comme prise de pouvoir, la fausse convivialité d’entreprise,   de soirées défonce, la fausse réussite, le faux amour, tout y passe, tout est laminé.

Nos contradictions, nos petites croyances écolo, notre inertie, notre lâcheté,  tout. Les trois acteurs sont simples et géniaux, inventifs, et observateurs. le dispositif scénique est original et puissant, beaucoup d’actions e passent derrière une vitre ou un store, comme nous  qui vivons derrière le voile du mensonge.

En vase communicant avec Jeanne, voyage en écriture sur la ligne des hirondelles

Jeanne-16-09-2012-13-26-48-4592x3056-1024x681 Le train de Jules Verne avait l’apparence d’un Nautilus.
d’un voyage extraordinaire qui..emmène. emmènera.

 emportera.

on avait rêvé d’ailleurs et nous partions vers le connu – ligne ferroviaire Morez/Saint-Claude. ligne des hirondelles. on prenait le large sur les rails à  travers les montagnes jurasiennes.

l’autorail Picasso nous mènerait-il  à bon port – quoi qu’il en coûtait de coordination entre les 2 conducteurs.
l’autorail, ses cheminots d’un siècle pass?éet ses voyageurs contemporains pour un voyage dans le temps – brins de nostalgie que les moins de 30 ans ne pouvaient pas connaître mais yeux émerveillés tout autant.

on voyageait et découvrions le passage du temps et des tunnels. on voyageait et saluions les curieux aux passages – heureux d’être là. Nous n’allions pas si loin et.. pourtant.. tous ensemble à nos joies nous nous retrouvions potes en nos mes – émotions aiguisées d’un « tour de manège » hors ordinaire.

le jour souriait
sur le quai des gares
sur les voies
dans les rues de ceux qui prenaient le train.

en nous ce tchtch tch qui
– fermant les yeux – nous berçaient la nuit – voyages nocturnes au  bord du rail – voitures-couchettes ou assis-confort sommaire.
en nous ce tchtch tch qui – fermant les yeux
– évoquant alors autres voyages ferroviaires – aller vers l’ailleurs – retour au bercail – escale-attente ? St Pierre des Corps sans rien pas même machine  café – attente – courses pour attraper le train qui déjà partait – sans nous – sans eux

billet s’il vous plaît. billets qui restaient là, avec nous – madeleines de ces espaces entre 2 points. billets marque-page – lectures en  ces endroits-là propices à lecture silencieuse et isolement du brouhaha des vies. tchtch tch on partait n’attendions pas n’entendions pas retour. partions toujours. vers – peu importe. partions.

tchtch tch le train – ces trains – voyage et but en soi. point de raison que de voir paysage défiler quand immobile en un lieu.
tchtch tch tch et le rythme s’accélérait et nos cœurs et nos corps s’assouplissaient pour se laisser porter d’un point ? un autre – silencieux contemplatif pour mieux revenir dans l’espace et le tumulte.

Picasso et son autorail nous menait loin et nous n’en menions pas large de ce qu’il avait remue en nous. avions remonté le temps – et l’espace de nos jours présents – se souvenir alors – une nouvelle fois – d’une voiture-bar (fumeur ?tait plaisant), landeau à peine un mois, Marie à peine un an – Besançon-Rennes via gare de Lyon et Montparnasse. vers l’inconnu. à  l’ouest.
de l’ouest prendre Nantes. Bordeaux. et voyage en Espagne pour terminus Tanger. autre compagnie. même voyage intérieur.

tchtch tch.. tch. tch.
tch.
terminus.
on reprendra le train.

emportant
en nous
ceux qui manquent.

( Maryse,  Morgane,  Gabriel,  Bernard, ? Marie,
 celles et ceux que je ne connaîtrai jamais assez)

Retrouvez mon texte sur le site de Jeanne ? ?www.babelibellus.fr/

la liste des autres blogs participants ? ces Vases communicants
http://rendezvousdesvases.blogspot.fr/2012/

Agathe, enquête de paysage, le dernier tome de la collection Hommes et Montagnes du Jura est sorti

Agathe, enquête de paysage
Le dernier tome de la collection « Montagnes du Jura, des hommes et des paysages  » est disponible… ENFIN !

Agathe vous a emmenés sur les pas d’Auguste le roulier, de François le contrebandier, d’Etienne le colporteur lunetier et d’Anne la montagnarde.

Dans ce 5ème tome, elle termine son enquête sur les liens entre activités humaines et transformations des paysages en partant à  la rencontre d’acteurs de la vie jurassienne : agriculteurs, artistes, décideurs, bergers, promeneurs…

deux romans magnifiques

p>Je viens de lire deux tr?s bons romans.

la-grande-bleue,M93025Je sors de La grande bleue de Nathalie D?moulin publi?e au Rouergue, happ?e et tr?s heureuse.? C?est l?histoire d?une jeune ouvri?re de Vesoul dans les ann?es 70. Mari?e assez jeune, elle suit de loin les combats de Lip,? la lib?ration sexuelle, ?elle a envie de vivre autre chose.? ?La succession d?images, de gestes, de paroles si justes, leur puissance, les sensations fortes de for?ts, de rivi?res, de courses en mobylette ou en voiture, les odeurs d?enfants, les lassitudes, le quotidien des jeunes filles, de la jeunes m?re, jeune ouvri?re, les bals, les bars, le fr?re malade, c?est la premi?re fois que je lis un roman qui parle autant de ce que je connais. Mauvignier et Olivier Adam dans Les lisi?res avaient commenc? mais ici, l’auteur p parle des femmes, de leurs h?sitations, de leurs r?gles, de leurs accouchements, de leur d?sir fou d?enfants.

Et puis la peur de l?enlisement, l??touffement, l?angoisse de tout perdre, de passer ? c?t? et le coup de rein ou le coup de pied lanc? au fond de la rivi?re pour remonter. Et le malaise au milieu des gauchistes, le d?calage.

Et ce on, qui nous tient, nous met dans ses pas, dans sa trajectoire, on pourrait ?tre elle, elle pourrait ?tre nous!

J?ai aussi beaucoup aim? l??vocation de la communaut?; sa mis?re hautaine, ses chamailleries, ses alcoolisations ? outrance, j?ai bien retrouv? quelques exp?riences! Et bien-s?r ce courage pour d?crire les usines!

certaiens n'avaient jamis vu la merEt ensuite? conseill?e par mon amie,? la libraire de L?Etourdi de Saint-Paul, je lis Certaines n?avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka,?? chez Ph?bus,? et je suis stup?faite par la force du?? style?envo?tant, obs?dant et le parti-pris stylistique tr?s audacieux. L?auteur utilise le nous, elle exprime les paroles d?un groupe indistinct duquel se d?tachent parfois un plus petit groupe? certaines d?entre nous, quelques- unes,? ou des personnalit?s, l?une des n?tres,? la plus jeune d?entre nous, la plus belle, certaines de nos filles. Elle raconte la venue forc?e de jeunes vierges japonaises aux E.U pour ?pouser les ?migr?s c?libataires? dont aucune am?ricaine? ne veut tant le racisme est fort ? l??poque, leur vie tr?s dure de travail? dans les champs, les familles comme bonnes, les magasins, les restaurants, et ensuite leur disparition dans les camps pendant la seconde guerre mondiale. ?Ce nous collectif et r?p?t? donne une pr?sence ?trangement forte et violente ? cette histoire.

le petit merle

p style= »text-align: justify; »>P1090861P1090862P1090864P1090864D?but?ao?t, vers 14h, le petit merle a vol? de ses propres ailes. Il attendu?longtemps, ?paralys? sur?une?branche basse ?du m?rier-platane, puis sa m?re est venue le chercher, elle h?sitait parce que j’?tais tout pr?s, je devais l’effrayer, alors, il s’est ?lanc? et il est tomb? sur le sol, la m?re s’est enfuie et lui, il a volet? jusque derri?re une brouette o? il s’est cach?. Longtemps. la m?re est?revenue, il l’a suivie toujours voletant vers une autre cachette entre le lierre et le mur. Et ?? nouveau, il n’a plus boug?, s?rement ?puis? par l’effort. L?, tout l’apr?s-midi, la m?re?est?venue?le voir, lui apporter de la nourriture, elle l’avait cherch? un moment au d?but et l’avait retrouv? ? sa voix, ?je pense. Le soir, vers 8h, elle ?tait encore l?, le surveillant, ?guettant, allant et venant . J’?tais assez pr?s d’elle pour voir sa gorge palpiter quand elle ?mettait un petit cri .

Reviens Ulysse!

odyssee1J’ai relu le retour d’Ulysse. En ce moment, je suis obs?d?e par les retours. Notre?lecture?au jardin a port? sur ce th?me, retour de voyage, retour d’exil, retour dans sa famille, je viens de lire La terre des mensonges, c’est encore l’histoire d’un retour ? la ferme des anc?tres.

Donc quand Ulysse ?rentre, ?pas d’embrassades, mais des ruses, des regards, P?n?lope assise, l’observe, la nourrice qui lave ses pieds le reconnait mais doit se taire, c’est un retour presque triste, lourd, vengeance, ?tueries, accusations, explications, avant les effusions, il faut?r?gler?ses comptes, reprendre sa place, toujours se battre, rien n’est donn?, ?les servantes pendues ? la corde d’un navire sont une image horrible de cruaut?, comme des colombes aux ailes d?ploy?es, ?dit le texte.

Des images me restent, le grand lit construit autour d’un tronc d’olivier, l’arc et les fl?ches qui transpercent les cous des pr?tendants, le mendiant Ulysse assis sur son tr?pied qu’on agonise d’insultes et de brimades, les festins de viande.

J’ai soudain envie de maisons vides, de tapis, de?m?tiers?? tisser, d’odeurs de ?suint et d’huile d’olive, d’?les grecques et de M?diterran?e et je pense que la Gr?ce?antique??tait plus proche de l’Alg?rie des ann?es 80 que j’ai connue.

La M?diterran?e et ses hommes d religion et de pens?e. Tous ses dieux grecs, ?ces Dieux vivants et leurs?chamailleries?tr?s humaines, leurs coucheries, leurs discussions, ?leurs palabres, leurs?enfants?ill?gitimes ?que je trouvais ridicules?quand?j’?tudiais le grec me plaisent infiniment ?plus?d?sormais que les dieux?uniques, parfaits, inhumains ?et s?v?res de la chr?tient? et de l’Islam. ?Je regrette ce fouillis de dieux demi-dieux demi-d?esses, hommes presque dieux, dieux presqu’hommes de la Gr?ce Antique.

Soleil levant

Le Bain du SoleilAucun homme n’est oc?an

Aucune mer n’est oc?an

Le petit merle a vol?

Le jour ne se l?ve pas assez t?t

Les voitures au loin ?d?chirent le bitume de la nuit

Toute ?vie est assassine

Fra?cheur?amie et consolante

Mais o? sont parties les m?sanges?

Elles ?taient si proches et si vivantes,

O? est mon p?re?

Il manque tant ? son jardin

Tableau Le bain du soleil de Marie-Blanche Bayon-Ducret

En vases communicants avec Gilles Bertin

J’ai invit? Gilles Bertin ? un vase communicant en juillet. Nous avons choisi en commun une photo. Elle ?s’intitule

An

J’ai invit? Gilles Bertin ? un vase communicant en juillet. Nous avons choisi en commun une photo. Elle ?s’intitule

Antho et Momo, Friche industrielle de Vaulx-en-Velin ? Mathieu Neuville

… Mon ?texte s’intitule chez Gilles Wart et le ?voici le sien.

Le Choix de Witold

Witold Heleniak grenouille dans la finance japonaise. Il est arriv? voici une heure par le vol direct Tokyo Varsovie. Un h?licopt?re l’attendait sur le tarmac, il l’a amen? ici, ? cent vingt kilom?tres au sud, dans la friche industrielle Kozlowski de ??d?. Des dizaines de grandes halles aux murs de briques coiff?es de charpentes m?talliques, aux dalles de b?ton jonch?es de d?bris de vitres tomb?es des verri?res, de ballots de tissus ?visc?r?s, de palettes bris?es. Depuis la chute du rideau de fer tout a chang?, en pire, en mieux, en autre chose. Witold avait une dizaine d’ann?es, comme moi, il ne se souvient de rien de pr?cis, seulement d’un d?sastre magnifique, d’un espoir terrifiant, la travers?e d’un cerceau enflamm?, la pulsation pr?cipit?e du temps, tout cela m?l? en un magma bruyant, ?clatant… personne ne nous expliquait rien, la libert? ne s’explique pas, on est jet? dedans sans bou?e et on se d?brouille ou on coule, ses parents avaient assez surnag? pour lui assurer de bonnes ?tudes ? l’universit? de ??d?, en math?matiques. Witold est brillant, une fondation am?ricaine lui a pay? une bourse, il s’est sp?cialis? en mod?lisation financi?re. La Bank of Japan ?? la BoJ par les japonais et les financiers de toute la plan?te ? lui a propos? un job avant m?me l’obtention de son dipl?me, il nous a quitt?es toutes deux, moi et ??d?. Il n’?tait jamais revenu depuis.

L’h?licopt?re le d?pose devant l’un des b?timents que rien ne distingue des autres, hormis cette fresque en fa?ade repr?sentant une Lolita de BD dot?e d’immenses yeux verts et, en haut de son pignon, une mosa?que compos?e de carreaux de fa?ence bleu nuit?:

ATELIER K

TEATR LOGOS

L’h?licopt?re red?colle, couchant de ses pales les touffes d’herbes folles? entre les fissures des dalles. Witold p?n?tre dans l’Atelier K. Il ressort presqu’aussit?t, portant des chaises et, accroch?e ? son coude,?notre table, cette petite table basse au pourtour d?cor? d’arabesques en fer forg? o? nous buvions des ?ywiec apr?s les r?p?titions. Il s’installe. Allume une cigarette. Une autre. Plusieurs. Une ribambelle.

Witold attend.

Il m’attend, moi.

Il a fini son paquet, il le froisse, le jette par terre (? Tokyo, il ne fait pas ?a?!), fouille dans sa veste, sort un paquet neuf, le consid?re, rassur? d’avoir assez de munitions pour attendre.

Il m’a aim?e d?sesp?r?ment, intens?ment, fabuleusement, il m’aime toujours. Pour quelle autre raison serait-il ici??

Il change de position sur sa chaise, mais ?vite de regarder la fresque.?Sa fresque. Mon portrait qu’il a peint lui-m?me. Il est ? c?t? depuis qu’il est arriv? mais se comporte comme si elle n’existait pas. Comme s’il avait peur de moi.

Une fauvette zinzinule. Il la cherche . ?Se l?ve avec des gestes prudents, s’avance vers le bosquet d’acacias au coin de l’atelier. Elle d?roule les cr?celles de ses strophes courtes en crescendos de gazouillis. C’est une oiselle aux tons gris olive et blanc cass?, toute petite chose bouleversante, ardente, fervente, tout le chant du monde.

La fauvette, il ne la verra pas, pas plus qu’il ne me verra. Toutes deux, nous n’existons que dans ses souvenirs, nulle part ailleurs, plus pr?sentes que si nous ?tions l?, devant lui, en chair et en os.

1992, une soir?e de juin. Witold porte une salopette de cheminot trop grande. Elle a appartenu ? son p?re. Un parfum de miel embaume l’air. Les jeunes acacias ont pouss? dans la zone industrielle d?sert?e. Le Teatr Logos s’est s’install? dans l’atelier K voici quelques mois. Nous sommes assis devant cette m?me table, elle est couverte d’un pique-nique que nous ne mangeons pas. Depuis des semaines, chaque soir, il me rejoint ici ? la fin de mes r?p?titions et nous parlons longuement, bien apr?s la tomb?e de la nuit.

Le m?me chagrin qu’alors l’emplit, je le devine. Un voile qui s’?tire du Japon jusqu’ici, dans le vieux c?ur de la Pologne. Une gaze de sensations et d’?motions qui remontent, ??a mood?? comme disent les am?ricains, la madeleine de l’?crivain Marcel Proust. Il se mord l’int?rieur des joues. Il croquait ma bouche, poussait sa langue en moi, nos salives se m?laient dans le m?me fluide chaud et liquide qui coulait de nos l?vres dans nos gorges et nos nuques. Nos bras tremblaient de fatigue nerveuse, nous avions froid alors que juin de cette ann?e-l? ?tait br?lant. Cette humidit?, ce tremblement, il les a encore en lui aujourd’hui. La douleur ?tait ? vif. Nous avions commenc? ? nous aimer mais, aussit?t?!, cela s’arr?tait. ? cause de lui?! Il voulait tout. Partir au Japon et que je parte avec lui, loin de ??d?, de l’Atelier K et du Teatr Logos o? je d?butais, il voulait que nous nous mettions dans la m?me valise, et que nous nous transportions l?-bas avec notre amour. S’il avait pu ajouter ??d?? dans la valise, il l’aurait fait. Nous arrachions le papier peint de nos murs. Des lambeaux, des aigrettes restaient par ci, des pans entiers par l?, le sol ?tait couvert de billets d’amour ? l’encre d?lav?e par nos pleurs. Dessous, derri?re, il y avait ??d?, nos familles, nos amis, les usines vides?; il y avait la place vacante pour de nouveaux mondes, l’avenir, la BoJ, le Teatr Logos. Nous devions nous s?parer, la d?cision avait ?t? prise bien avant ces soirs d’?t?, lorsque j’?tais venue ici pour la premi?re fois, friche industrielle Kozlowski, atelier K, pousser la porte du Teatr Logos, lorsque Witold avait eu au t?l?phone un chasseur de t?te de?la BoJ. Mais Witold ne devinait pas qu’il avait choisi bien avant nos disputes. Il savait les ?quations, les th?ories, les mod?les. Il ne savait pas le choix. Il ne savait pas partir. Quitter ??d?. Me quitter.

Ce soir, vingt ans plus tard exactement, la troupe du Teatr Logos ne viendra pas r?p?ter ? l’Atelier K. Witold peut attendre, il n’y aura plus de motos qui remonteront l’all?e, passeront entre les b?timents abandonn?s, s’arr?teront devant, des casque ?t?s lib?rant des chevelures de gar?ons et de filles de notre ?ge. L’Atelier K est vide, le Teatr Logos s’est install? dans un b?timent de pierre au centre ville.

Witold n’a pas r?ussi ? voir la fauvette, il retourne s’asseoir. Sort un carnet de sa veste. Un crayon. Ainsi donc, il dessine toujours?!… Je souris en moi-m?me, rassur?e, presqu’attendrie, tout ne serait pas perdu, il n’est pas enti?rement acquis au monde de la finance, quelque chose d’avant est rest? en lui. Il tourne la t?te vers la fresque, me regarde…

Ses yeux fixent les miens…

Enfin?!

Sa main descend vers son carnet, trace un premier trait… un autre… Ses yeux dans mes yeux, il me dessine. Ses gestes sont le chant de la fauvette.

Antho-et-Momo

Antho et Momo, Friche industrielle de Vaulx-en-Velin ? Mathieu Neuville

Tristesse. Witold n’aurait pas d? revenir. Je suis une illusion, une fresque, un remords, un soir d’?t?, je suis ??d?, la fin de l’enfance, un tricot d’odeurs de cheveux, la neige des hivers, les grincements des tramway avenue Ko?ciuszki, les r?pliques des r?p?titions r?sonnant dans l’Atelier K, je suis la premi?re fois, la seule qui jamais ne renaisse, quelque chose de tellement plus complexe et tenace que les syst?mes financiers auxquels Witold consacre sa vie depuis des ann?es.

La nuit tombe. Deux phares grossissent dans l’all?e entre les b?timents de la friche. Un instant, il peut se donner l’illusion qu’il s’agit d’amis qui viennent nous rejoindre. Nous boirons des bi?res et nous fumerons, tout ? l’heure nous repartirons dans ??d?, au Krag, ? la Sesja Tawerna ou au Piwiarnia Warka.

Le pinceau des phares d?crit un arc de cercle, l’?claire au passage, puis la fresque. Il se l?ve, marche vers le taxi, s’installe ? l’arri?re. La voiture repart.

Il restait une derni?re chance ? Witold. Ne pas remettre dans sa poche son carnet de croquis. Le laisser sur cette petite table basse qu’il est all?e chercher dans l’Atelier K. Il aurait pu me laisser l?, derri?re lui, d?finitivement.

Demain ? l’aube, les artificiers trufferont les b?timents de la friche d’explosifs. Les bulldozers suivront, poussant le pass? de leur lame brillante. Une zone commerciale sera construite. Ou autre chose de nouveau.

Witold esp?rait-il que je sois l?, moi aussi, en p?lerinage avant que l’atelier K et notre fresque soient d?truits?? Esp?rait-il des pleurs et des baisers froids?? A-t-il esp?r? quelque chose?? Au loin les feux arri?res du taxi s’effacent alors que, du c?t? des acacias, la fauvette reprend ses trilles.

Gilles BERTIN

Photo?: Mathieu Neuville, avec son autorisation

La galerie de Mathieu sur Flickr?:?www.flickr.com/photos/labodeguita/with/5582151483

la liste des autres blogs participants ? ces Vases communicants de juillet.
http://rendezvousdesvases.blogspot.fr/2012/06/liste-juillet-2012.html

Les autres Vases communicants sont :

Textes?:?http://www.lignesdevie.com/2012/05/a

Giono, Fregni, Magnan au Bleuet

joel-gattefosse-a-ouvert-sa-librairie-le-bleuet-avec-quelques-dizaines-de-livres-en-1990-il-compte(1)Chaque fois que je vais dans une librairie à Lyon,  Saint-Claude, j’ai le coeur serré, j’entends, on ne s’en sort plus, on n’y arrive plus, ça devient trop dur!

Alors quand j’ai vu à Banon la librairie Le Bleuet, ça m’a redonné la foi et le courage d’écrire et de lire.

Deux immeubles, une dizaine de pièces, plusieurs étages, des escaliers, des livres, on me dit 45 000, je ne compte pas mais je vois dans l’entrée, en gloire, en majesté, toute la Pléiade, toute la collection des Cahiers rouges, tout Actes Sud, et surtout les beaux romanciers que j’aime,  tous leurs livres sur des présentoirs, tous les Frégni, les Giono, les Magnan, les fils de Manosque, ? tout près.

Et plein de monde, il est midi, il fait chaud, ce n’est pas les vacances, et ils   achètent, ils sortent avec les sacs le Bleuet après dans le village,on les reconnaît, beaucoup sont venus exprès et, paraît-il, parfois de très loin.

Et tout ça est venu d’un homme, d’un rêve, Joêl Gattefosse, ouvrier menuisier, de l’Essonne, qui, à cinquante ans, a tout plaqué pour venir acheter une librairie papeterie à l’agonie. Succès de bouche à oreille, succès d’initiés.

On sent là un amour inconditionnel, une science sûre, une expertise et une audace tranquille, celle de ceux qui savent parce qu’ils ont lu, tout lu, tout ce qui sort et qui est bon et qu’ils le conseillent, parce qu’ils savent qu’ils vont offrir du bonheur, c’est tout, ce n’est pas difficile!