la littérature et le monde du travail

J’ai trouvé un pays où l’on parle ma langue. Depuis si longtemps que je le cherchais! Ma recherche sur les romans qui représentent le travail est partagée. Au colloque de Porto, Paul Aron a parlé des écrivains prolétariens, et de l’Ecole populiste, Corrine Grenouillet a parlé des romans de filiation, de Storti, de Magloire, de Levaray, de la névrose de classe dont je souffre tant, Chantal Michel a parlé  des romans de Beistingel qui?était dans la salle et qui lui a fait retour jusqu’en 68, aux romans des apprentis.

Pour une fois, je trouvais des collègues qui avaient lu les mêmes livres que moi,et se posaient les mêmes questions, j’ai parlé  avec Isabelle Kryslowski de Monserrat et de Zone mortuaire, Martine Sonnet nous a parlé d’Atelier 62 que tout le monde avait lu, tous connaissaient Retour à  Reims de Didier Eribon.

On a même évoqué Jérôme Meizoz et son petit livre Jours rouges que j’ai rencontré aux Pérégrinations littéraires et même Besson que Corrine Grenouillet connaissait grâce à Aragon.

Marie-Pierre Boucher n’a pas parlé des travailleuses du sexe qui est son sujet de recherche mais du cycle des Boldwin de Serge Lamothe, son ami qui était dans la salle. Que de jolies surprises! ?Et j’ai reconnu la simplicité et la modestie de tous ces écrivains et chercheurs, comme si le sujet rendait humble!

Quel beau pays que ce pays!

Square George et Adèle Besson ou le mystère de la mémoire

automne2011 136Quand c’est toute une ville qui se souvient; George Besson, collectionneur, critique d’art, éditeur, photographe, oublié pendant quarante ans, se retrouve dans les mémoires des habitants en même temps, au même moment.

Valérie Pujin, conservatrice du musée de l’Abbaye, après des mois de négociations et d’efforts, arrive à  rassembler les plus tableaux de la collection et à  nous offrir une exposition magnifique du 28 octobre 2011 au 12 février 2012.

Le maire, Francis Lahaut, baptise le square face au musée, face à  la cathédrale, un des meilleurs emplacements de la ville, square George et Adèle Besson .

J’écris depuis 2009 une biographie, elle va paraître chez Cabedita, au printemps.

Un très beau livre de Chantal Duverget sur l’ensemble de la collection paraîtra bientôt. Et soyons-lui reconnaissants, elle -seule, en le choisissant comme sujet de thèse, lui avait rendu hommage.

Une ville toute entière a cessé d’oublier.

Petites gouttes de pérégrinations littéraires, Jura, du 13 au 17 octobre 2011

P1040452P1040456La solitude d’Edith Azam, grand et fragile poète, dans les brumes de Croaby, elle se concentre, elle va nous livrer des morceaux de sa chair, de sa douleur, elle va à l’os, elle dénude le nerf, elle plonge tout au fond.

La danseuse, Jason, elle aussi côtoie le vide, à  la Roche Blanche, elle le souligne, ses gestes ourlent la falaise.

Ces artistes sont toutes deux des acrobates de la lumière et des profondeurs.

Je voudrais parler aussi de la grande humanité de Denise Mutzenberg fondatrice et animatrice des Editions Samizdat, en Suisse. Elle me raconte l’aventure de cette maison d’ Editions, entre Histoire et fidélités familiales, le père était typographe, la sœur jumelle écrivain, le fils voyageur et dessinateur. Elle écrit en Romanche, une langue autre, pour ne pas écrire dans la langue et sur le territoire de sa sœur, elle trouve enfin sa langue de poésie.

Jacques Moulin me parle du pays de l’enfance, pays de l’absence, et renacle quand Julien Blaine clame son mépris de la poésie à  la queue leu leu. Après, Julien Blaine explique qu’il désigne par là  la poésie serrée dans les alexandrins, qui l’empêchent de respirer, de se dire, de se gueuler comme la sienne.

Et ses cris sur la place devant la statue de Désiré Dalloz, dada, dada, daloz, et la place qui deveint forum, rien ne se résout mais la parole est lâchée et les cœurs parlent.

Ce qu’il faut dire aussi, c’est que le paysage jurassien, sa puissante ossature de falaises, de barres rocheuses, étincelantes, serties dans les verts coupants des pics et les jaunes dorés des foyards, les trous, les abîmes, les précipices, la violente beauté de ces reliefs est Poésie.

Mont-Blanc

photo mont-blancMont Blanc de Fabio Viscogliosi

Fabio Viscogliosi ?voque tous les instants entourant la mort? et le deuil ??qu?il ne veut pas faire?? de ses parents dans l?incendie du tunnel du Mont Blanc. A petites touches l?g?res, petits rebonds de balles bien plac?es, petits gouttes de pluie sur les toits de zing que son p?re r?parait, petits souvenirs, sensations, retours, amour de la vie, des livres, accueil de la sensation?

Grand livre des petits riens qui me fait beaucoup penser ? La Fianc?e des oiseaux de Ren? Fr?gni. ( voir ce blog)

???Je me dis souvent que, dans les derniers instants, chacun doit ?tre saisi par un sursaut similaire, cette contraction du temps qui s?impose, telle une crispation des visc?res, un ?ternuement, ou un battement de?? paupi?res. Rien d?un regret, non. Une f?te en acc?l?r?, plut?t, une br?ve ?piphanie, travers?e de coups de sang. ?

Ouvriers dans les gares

xian 098Dans la Gare de? Hefei en plein milieu de la Chine, apr?s d?j? 20 heures ?de train depuis Xian pour aller ? Suzou, nous sommes rest?s quatre ?? cinq heures, ???assis ?par terre ou sur nos valises. Nous ?tions dans des couloirs form?s par des barri?res, au bout du couloir, ?sur le plafond, ?s?affichait l?heure du train qui reculait avec la nuit, 11h, 12h, 1h du matin, la nuit avan?ait, la pluie claquait sur le toit, les lumi?res de la gare blafardes usaient les yeux.

La foule compacte de travailleurs chinois, je dis  » travailleurs « parce que ?leur allure, leurs v?tements, leurs chaussures, leur bouche o? il manquait des dents parfois, leur visage tann?, et surtout, leur d?marche un peu gauche, ? en ?taient le signe

J’ai suppos? qu’ils rentraient chez eux ?pour une semaine de vacances.? Tous, ?ils transportaient des sacs immenses en plastique, des ventilateurs ou de petits appareils ?lectrom?nagers neufs, des grands cartons renforc?s par des ficelles. Par groupe d’hommes, ?trois ou quatre hommes, assez jeunes la plupart du temps, quelques femmes sans enfants, ? la fois f?briles et fatigu?s, ils allaient et venaient. J’imaginais l’impatience et la joie d’arriver au village, dans la famille, ?de serrer femme, ?enfants, parents tr?s ?g?s dans ses bras, ?de distribuer les cadeaux, des babioles pour les enfants, un joli v?tement pour la femme, peut-?tre un ventilateur, une cafeti?re ?lectrique, une mini t?l?vision, des biens inestimables gagn?s sur les chantiers la nuit et le jour. Beaucoup ?puis?s ?taient couch?s par terre la t?te sur un carton ou un sac. D’autres allaient remplir d’eau chaude leur bo?te de p?tes toutes pr?tes.?? Nous avions d?couvert pendant notre voyage ces boites tr?s pratiques de? nouilles lyophilis?es, peu de go?t, bien consistantes, sur le dessus de la boite,? des baguettes en plastique ?taient coll?es et permettaient de manger instantan?ment.

Ils nous regardaient longtemps, parfois, ?ils s?approchaient en groupes pour se donner du courage et entouraient? Gr?goire, et Thibaut, les deux ados qui nous accompagnaient. Ils touchaient ?Gr?goire, le petit blond, ils caressaient sa peau, ses cheveux, jamais s?rement, ils n?avaient vu un enfant blond, ils s?amusaient de sa petite valise, ?de son petit sac ? dos. Nous ?tions leur distraction, leur repos. Mais bien vite, ils retournaient ? leur place, t?chaient de dormir, sortaient un jeu de cartes ou un journal, s?endormaient sur la page ouverte.

Plus tard, quand le train arriverait, ce serait la course pour trouver une place, un bout de banquette et un ?morceau de tablette pour poser sa t?te et dormir encore dix heures, plus, ?jusqu?? une autre gare, se d?p?cher de? ?dormir pour r?parer le corps, pour faire passer le temps du voyage, ?et peut-?tre dans un ou deux jours, ?l?arriv?e.

Et j?avais toujours ?en t?te la gravure que l?amie m?avait offerte, les Italiens ? la gare Saint-Lazare. La foule, les v?tements sans couleurs, les balluchons, les corps ploy?s, la grande verri?re et sa lumi?re blafarde, toujours la m?me histoire, toujours les? paysans qui vont vers le travail ?et j?avais en t?te le r?cit de l?arriv?e ?d?Italie de ma grand-m?re avec ses huit enfants? serr?s autour d?elle, sa valise,? son portefeuille avec le pr?cieux papier, la derni?re lettre du grand-p?re que j?ai gard?e o? il disait ?? peu pr?s ces mots,? que j?ai fait traduire cet ?t??:

??Je ne saurais pas quoi te dire de mon retard ? te donner de mes nouvelles, mais vu que je savais que dans une semaine , j?aurais re?u un feuillet que tu trouveras li? au pr?sent?; le papier pour te faire tes papiers pour que tu puisses partir enfin toi aussi.? Maintenant il sera ton tour de te presser de faire ce que tu peux et je te recommande de ne donner ? personne ce feuillet. Tu le montreras au secr?taire de mairie qu?il te fasse la demande de passeport et puis tu le pr?senteras ? la douane? xian 098xian 102J?ai fait toute la semaine les foins et ce matin, le vent du Nord? Comme je veux esp?rer que tu puisses partir, fais vite, tu m?aideras ? finir les foins, tu comprendras que si je dois faire le terrain tout seul, le travail devient dur?. Rappelle-toi, tu ne donneras pas la carte ? personne et rien de plus.??

La nouvelle jeunesse, Poèmes frioulans de Pier Paolo Pasolini, Lectures sous l’arbre Chambon-sur-Lignon 2011

La nouvelle jeunesse de Pasolini Lectures sous l’arbre 2011, Chambon sur Lignon

P1040231P1040230Je marche le long des murs de pierre, sous les châtaigniers, je longe le petit cimetière protestant, les tracteurs fauchent le regain tout autour de nous, des fervents, des heureux, devant une comédienne qui lit, un poète, un philosophe qui expliquent leurs livres.

Je mange à  la table de SergeAiroldi. Il  lit le début de son roman Les roses de Samod. Et nous nous sentons les roses du Gers qui se mêlent à celle d’Arouet en Inde. Nous disons Proust , il sourit il dit La nouvelle jeunesse de Pasolini, les poèmes frioulans. Il cite Je viens de pays garé

J’écoute sous l’arbre dans la cour les poèmes de Darwich lus par Marc Roger

Je vais au Puy entendre contre le mur brûlant de l’église le texte de Danièle Basset

Je mange à  l’auberge l’Oustaou avec Mickaèle . J’entends parler de la maison du solitaire de Pierre Loti au fond du pays basque,  De Didier Gravelinolor et de ses partisans qui se réunissent pour en lire des extraits, des saisons de Maurice Pons et du poète Elitis,  de Lire en poche à Gradignan et de Rencontres à lire à Dax.

P1040237Au camping municipal, j’ai eu  très froid mais je suis avec Bruce Chatwin, j’entends Le chant des pistes, je cherche l’ ci du monde avec Yves Bonnefoy, j’essaie d’être attentif à  la chose première, je me dis que moi aussi je vais nommer pour faire venir le monde à l’existence comme les Aborigènes.

Je suis nourri par le réel plus surprenant plus énergisant que la fiction.

Plus tard, toujours sous l’arbre, j’écoute Claude Burgelin, mon collègue à Lyon 2, si brillant, si fervent, si juste, parler des auteurs d’aujourd’hui. J’entends ses expressions élégantes et puissantes.

Les romanciers d’aujourd’hui n’habitent  plus le vieil édifice du roman, l’auteur est aiguillonné d’urgence  vitale, il doit aller au vif, aux troncs blancs de l’expérience?. Il doit dire le vif, dire « je ».

Puisque les ancrages se défont, les formes sont atteintes au cœur?

Beaucoup de textes sont des tombeaux ,  des morts mal enterrés?

En rentrant chez moi, la soif de lire et d’écrire dure encore.

Traveil

travailTraveil

?

Je suis all?e voir la maison d?alpage que mon grand-p?re avait construite dans le Val d?Ayas, pendant plusieurs mois, ?avec son fr?re Henri en 1908. Ils avaient transport? des cailloux, taill? des pierres, mont? les murs, achet? ou taill? des portes transport?es sur leur mulet,? mis un linteau sur le dessus de la porte? et ? la fin, ils avaient grav?: ?Louis Henri 1908. Aujourd?hui, la pierre est sur la chemin?e du propri?taire du p?turage.

Et la maison est ?croul?e. Elle s?appelait Traveil.

Je pensais ?tre plus boulevers?e, envahie de tristesse, en fait, je suis juste tranquille et int?ress?e?.

Une grande chambre ? l??tage avec un lit? pour les parents et des paillasses pour les enfants? qui y dormaient deux par deux, en bas, une pi?ce cuisine, ?laiterie, ?fromagerie o? dormait la grand-m?re. ?A c?t?, l??table travers?e par un ru. Un syst?me ing?nieux invent? par les bergers, on d?tourne une source, on la fait traverser l??table et ressortir de l?autre c?t? en purin. ?Ainsi, ?elle arrose les champs en dessous, on appelle ce purin la laque et on dit que les champs sont enlaqu?s, ils sont engraiss?s naturellement.

je ne suis plus nostalgique, je l?ai ?t? tr?s longtemps.? Je suis,? bien-s?r, triste qu?ils n?aient pas eu plus de chance dans ses projets et qu?il soit mort tourment?. Mais la vie qu?il a eue ?tait celle de la plupart des montagnards. Des familles tr?s nombreuses et? pas un bout de champ ? soi, pas une maison, des pi?ces lou?es, tout ? construire, ? la force de ses bras, ? la merci d?une mauvaise saison, d?une maladie des b?tes et effray? et ?merveill?? par tous les enfants qui arrivent. Et en plus, le peu qu?il avait,? il a d? le vendre avant de partir et ?a n?a pas suffi pour r?gler ses dettes.

Et pourtant il avait appel? sa montagnette Traveil.

La nostalgie m?a quitt?e comme un habit de clown triste? ? grands plis et couleurs criardes qui tombe, laissant appara?tre un corps jeune et muscl?. je n?ai plus besoin d?elle, j?aimais sa larme facile, ses chatoiements ?motionnels, sa gamme infinie d??tats d??me int?ressants, ses tristes et beaux po?mes, l? inspiration si litt?raire, qu?elle m?a donn?e longtemps. Je ne veux plus rien lui devoir, lui demander, ni mon ?criture, ni la certitude d?un paradis perdu,? je vais l?-bas en touriste, je ne veux rien refaire, rien avoir ? moi de ce petit boit de terre,? juste un souvenir? ?mu, filial, normal.

La nuit d’après a résoné d’espoir

nuitfolieambianceLK les saltimbanquesA Fourvière, ce 31 juillet, la nuit d’après organisée par le forum des réfugiés a résonné d’espoir.

Idir et sa voix envoûtante, Sansevérino et son énergie insolente, LK Saltimbanques qui nous ont fait crier longtemps « Il faut rien lâcher » et enfin Les têtes raides .

C’était magique!

Mais tout autour de nous,?des réfugiés attendaient même cette nuit-là, leurs papiers,un logement, un travail , la paix dans leur pays. Ils souriaient, applaudissaient, chantaient comme nous, mais ils n’étaient pas heureux.

une journée sans écriture

Une journée sans écriture

J’ai eu le soleil, les figues de l’arbre, la gentillesse de l’invité la bonne chère que je lui avais préparée, l’effervescence d’Alain, une bise de mes filles de passage, une visite de ma sœur, un coup de fil de l’autre sur, les mésanges délirantes le matin sur le bord du toit, le pied de courge qui s’avance sur la terrasse, les enfants en guirlande dans la piscine, leur babil le soir à table, leur foot après le repas, vigoureux et malhabile, leurs rires dans la chambre quand tous les matelas ont été  déménagés dans la même chambre, j’ai eu la lecture de Giono, Naissance de l’odyssée, et carte de la Bienne que j’avais commandée qui représente exactement le lieu de mon futur roman. J’ai eu tout ça mais je n’ai pas eu l’écriture et ma journée est presque gâchée.

Il faudrait que je préserve ce temps comme une lionne, un temps protégé par des remparts, arrêté, photos Jura fleurs bleuesgardé, rien que pour ça, comme une séance d’analyse, une messe pour les catholiques, la promenade des retraités, le tour au jardin des jardiniers.